Bonjour à tous.

Et bon voyage.

Entre Vendredi 17 et Samedi 18 octobre 2008, dans l’avion, pas très loin de Karachi, 21h36 à ma montre.


Les sièges des avions sont toujours aussi confortables. Mon hublot est d’un noir sans profondeur. Un peu plus de 3h nous séparent de notre arrivée à Colombo, au Sri Lanka. J’écoute une musique insipide, et j’aurai vraiment dû m’occuper de ma musique avant de partir…On est parti comme un coup de vent, les sacs à moitié plein (ça fait du bien), plus pressé de boucler ce qu’il y avait à terminer que de réfléchir à ce qu’on allait commencer. Nous nous dirigeons vers Bangkok en faisant un changement d’avion à Colombo. Mon stylo a du mal à écrire, et la musique dans mes oreilles ne s’arrange pas. Alice feuillette le guide du routard du Laos. Je ne réalise absolument pas, je crois que c’est pour ça que j’ai commencé ce carnet. D’une manière totalement différente, je retrouve un peu le sentiment de notre voyage en Afrique de l’Ouest, celui de ne s’attendre à rien, d’être dans le neuf. De retrouver un peu le présent. Et quelles meilleures destinations que les pays de l’Eveil ?

Samedi 18 octobre 2008, dans le hall de gare de Bangkok, 16h48 heure locale.


Pas vraiment réveillé, pas encore arrivé, je ne sais pas vraiment si c’est la Thaïlande ici. Une ville immensément bétonnée, taillée dans les standards internationaux, nous accueille, et nous partons déjà pour le Laos. On ne peut pas tout connaître, et la Thaïlande, on ne fera qu’y passer…Des bouddhas méditent tranquillement à tous les coins de rue, tout se brasse dans un rythme urbain imposant et mélangé. Il fait chaud, humide. Je ne suis pas encore dans la bonne dimension. Nous n’avons pas pu goûter l’air de Colombo la nuit dernière. Une gare comme un mélange de tout ce que l’on peut prendre.

Dimanche 19 octobre 2008, Guesthouse Lovan, à Vientiane, Laos. 22h20.


Bientôt le sommeil. On lui court après depuis un moment. Encore quelques lignes et j’y vais. Le train en 1ère nous a pourtant servi des couchettes confortables, mais elles restent dans un train. De bons tempuras de crevette sous cellophane, une nuit agitée, et un réveil matinal nous ont rapprochés de Xian Mai (désolé pour l’orthographe). Un « engine problem » nous a fait attendre deux heures dans une petite gare. C’est en sortant et en déambulant un peu que j’ai commencé à comprendre le climat du coin, dominé par un soleil éblouissant et zénithal. Je tiens une des grandes explications sur le « type » asiatique : avoir les yeux plissés pour garder son flegme, même en direction du soleil. Alice m’a rappelé que l’Afrique connaît un soleil aussi lumineux. C’est juste. Mais ne nous arrêtons pas là. L’arrivée à côté de la frontière, puis notre premier tuk-tuk (qui au passage nous amène dans une agence pour les visas, et nous, pas très réveillés, on accepte de se faire entuber de quelques dollars, mais on va pas en faire une maladie) qui nous amène à la frontière, le fameux Pont de l’Amitié (c’est beau l’Amitié) qui enjambe le Mékong et hop, un van nous amène au centre de Vientiane. Heureusement que j’avais une carte, le conducteur semblait perdu à la fin. Quelques hôtels pleins plus tard, on trouve quelque chose d’acceptable. Enfin ! Les rues sont calmes en ce dimanche, et seuls quelques touristes qui nous ressemblent, sac à dos décontracté sur les épaules, arpentent les rues. Il y en a pas mal. Bien plus que ce que je ne pouvais le penser.

Lundi 20 octobre 2008. « Au bon café », Vientiane, 15h50.


Je n’ai pas eu la force de finir. Une grosse averse me permet de reprendre…Beaucoup de « backpackers », comme on dit, sillonnent Vientiane, leur nombre est assez impressionnant pour une telle capitale, surtout pour la saison. D’ailleurs, à côté de nous, un couple français à peu près du même âge vient de s’installer. Au-delà de l’aspect touristique, je retrouve ce dont Mikael nous avait parlé : On est vite guidé, pris par la main dans les sentiers battus, et les prix, même négociés fermement, me semblent élevés pour des Lao…mais bon, toujours pas trop pour des français. Une nuit chaude, un réveil tardif, une balade à l’Arc de Triomphe local, et au grand marché. Une averse tropicale, notre première, qui nous a forcés à manger. Ici les plats me rappellent Belleville, je n’y peux rien, les petits piments, les pousses de bambous…Et tous ces écriteaux en Français, c’est un peu comme si j’étais dans le vrai « Belleville »…J’ai du mal à ne pas faire la comparaison. On commence à avoir retrouvé un rythme, mais l’immersion va prendre du temps. Si loin, si près, si difficile de communiquer, si naturel de voir tant de gens qui nous ressemblent…J’entends presque l’accent parisien de la table d’à côté, il me semble qu’on est sapé pareil. La pluie s’est arrêté, on va continuer la promenade.

Mardi 21 octobre 2008. Dans le bus vers Luang Prabang, 11h12.


Ca secoue un peu. J’ai trouvé une clé mp3, et j’ai pu mettre ma musique dessus. « Boards Of Canada » laisse quand même filtrer la musique locale du bus. Il y a quelque chose de Lao dans mon écriture mouvementée par le bus…Nous avons fait hier une balade dans Vientiane, et visité notre premier « Vat », notre premier temple bouddhiste. Pleins de Bouddhas en position de l’Eveil. Des centaines de Bouddhas. Des milliers peut-être. Au-delà du renoncement, et du dépassement de l’emprise des pulsions des sentiments, une chose remarquable est cette adoration pour un homme, Bouddha, qui a trouvé l’équilibre et la justesse absolue dans sa condition humaine. Toutes les religions vénèrent leurs prophètes, qui transcendent la condition de l’homme dans son monde, mais cet homme-là a trouvé une vérité en lui que nous possédons tous déjà. Je trouve ça beau. La promenade s’est terminée sur les bords du Mékong, à boire une Beerlao, la bière nationale, en regardant le soleil se coucher. Quelque petits achats plus tard (j’ai un beau sac !), une énorme pluie s’est abattue sur Vientiane. On en a profité pour surfer on the web, j’ai terminé de mettre en ligne les versions TV du clip de Nzongo Soul, répondu à quelques mails, c’est amusant de sentir l’immédiateté mondiale du web. A n’importe quel endroit du monde, tu es sur la même toile, tu es au même endroit. Partout chez soi, le nomade électronique devient le sédentaire universel, et ça fait toujours bizarre d’être tellement chez soi à l’autre bout de la terre. On a cherché un charmant resto qu’on avait croisé dans la journée, mais on ne l’a jamais retrouvé. On a mangé dans un petit resto des trucs vapeurs, on n’a pas vraiment su ce qu’on avait mangé, mais c’était très bon. Une nuit agitée par une clim aspirateur et un sommeil intermittent, levé tôt, et un dernier bond dans le bus. Alice a pris des petits biscuits inconnus, dont de curieux anchois caramélisés au sésame, particulièrement pimentés. Le trajet nous a fait voir du pays, je commence à avoir le sentiment de voyager. On croise plein de petits villages, le paysage prend du relief, des montagnes couvertes de forêts dessinent des courbes nouvelles, j’ai l’impression de grandir.

Même jour. Luang Prabang, guesthouse Vanvisa, 23h20.


Déjà une autre page, mais l’encart mérite le détour. Arrivés la nuit vers 18h30, nous avons pris un tuk-tuk pour le centre. Pas mal de gens veulent nous proposer des guesthouses, on essaye de filer à notre choix, guidé par le routard…Notre tuk-tuk nous amène autre part, un autre Lao nous suit très gentiment pour nous indiquer un mauvais endroit. Avec un peu d’orientation, nous trouvons notre endroit, une maison charmante, avec une hôte qui parle français. Très belle, cette maison, une sorte de double maison, avec dans la première la famille qui y vit, et dans la deuxième quelques chambres. Nous avons enfin l’impression d’être chez quelqu’un. Un bon futon pour matelas, une chambre simple et coquette, qui donne sur une sorte de mezzanine ouverte, avec plein d’objets de vie partout. Nous sortons pour nos missions habituelles, c'est-à-dire nous promener et trouver quelque chose à manger. On s’arrête boire une bière sur les bords du Mékong, au-dessus d’une bande de français, visiblement aussi à l’apéro. Au bout d’un quart d’heure, une sorte de vieux hippy s’assoie à notre table, et nous demande s’il peut fumer ici, parce que c’est la table où il a ses habitudes du soir. On discute, et il s’avère être un écrivain américain, s’appelant David, jouant de guitare, et vivant sept mois sur douze dans le coin. Une espèce de rêveur, qui doit passer pour un fou ici. Alors on bavarde tous les trois de l’univers, du tout, de l’infini et du fini, de ces ethnies qui sont si près d’ici, et si « pures ». Plein de choses qui me font penser à mon ami Nzongo, à ma vision de la vie, et en même temps un vrai vieux hippy perdu, libre, et lucide. Il vit dans son van, et se balade. En même temps, il a perdu l’année dernière son guide, qui lui permettait de sillonner le nord du Laos, et il n’en retrouve pas. Alors il semble errer ici, comme en attente de son futur départ pour le pays où il est déjà. C’était une plongée dans un monde, comme celui du midi, celui de l’ingénieur que nous avons croisé 5 minutes, pendant la pause-déjeuner, qui vit à Vientiane, et qui est Lao. Il nous a pris en photo après nous avoir laissé sa carte pour se revoir sur Vientiane, dans un tourbillon d’énergie… Peut-être. En tous cas le monde se déplace.

Mercredi 22 octobre 2008, en haut sur le mont de Luang Prabang, vers 17h.


Des fois, les touristes, c’est un peut comme dans le métro, tout le monde veut avoir la meilleure place, la plus au bord, la plus confortable, faire la meilleure photo. Les gens sont ici au point le plus haut de Luang Prabang, dans un sanctuaire de Bouddha, dont un des préceptes est le renoncement. Le monde est bizarre. Les gens les plus bizarres sont ceux qui paraissent les plus sains, les plus propres ; et les gens les plus éveillés sont ceux comme David, que ceux-ci jugent bizarres. Peut-être est-ce là le début de l’Ouroboros. Je suis content d’être ici, mais parfois, plus je comprends et plus je me perds. Ca doit être ça le début de la liberté, si chère à David.

Même jour, Luang Prabang, guesthouse Vanvisa, 22h43.


Une balade de touristes avec les autres touristes, très agréable au demeurant. Il a fait beau, on a vu des temples magnifiques. Une sieste, j’ai médité un peu à l’ombre de la mezzanine de notre guesthouse. Puis enfin un tour en haut de la « montagne » de Luang Prabang, débordant de touristes qui vont font penser au métro. Si loin si près. Same same, comme ont dit ici. Plus exactement, « Same same, but different », une expression Tinglish, l’anglais local, qui parle d’elle-même, et qui va si bien à tout ce décor…C’est une ville couverte de touristes, on en croise en permanence, et nous somme hors saison ! On dirait que tout change très vite ici. Demain, un tour de vélo pour voir ce qui se passe un peu plus loin. Le marché à touristes, « night market » d’origine thaïlandaise, nous a un peu blasés dans ce somptueux décor.

Jeudi 23 octobre 2008, « same same », 21h48.


Ce matin, nous avons eu du mal à trouver nos vélos. La seule solution s’est trouvée au cœur du quartier touristique, avec un prix européen, pour des VTT très moyens. Ca nous a encore brouillés avec tout ça, et brouillés tout court avec Alice, la chaleur aidant. On a été voir les cascades près de la ville, et j’ai finalement poussé Alice, après embrouillage final, à aller se balader sur le chemin, dans la forêt des cascades. Nous n’avons pas tout fait, elle n’était pas rassurée, mais c’était bien, ce morceau de nature. Retour tranquille, on s’est arrêté dans une première gargote pour un Pepsi (yeah !), et dans une deuxième pour manger sur pilotis dans un endroit sympathique, et qui semblait sonner un peu « normal ». Autant que la normalité ait un sens. Avec difficulté, on nous a servi un bouillon avec des morceaux de poulet. Pas très goûteux. Et puis la seule table occupée nous a invités à gouter leurs pousses de bambou, très goûteuses. Le lexique nous a aidés à baragouiner quelques mots, et surtout à les faire marrer. Ils avaient aussi une belle collection de Beerlao sur la table, ça a dû les aider…Un des deux hommes a photographié notre lexique, il en avait déjà un dans le style photographié, version anglaise. Sans doute pour étendre sa collection. Ca nous a fait du bien de sortir du cadre. Ils étaient beaux, ils étaient chouettes. Ils sentaient la vie qu’on vient visiter. On a continué la balade à vélo, on s’est un peu perdu à l’écart du centre. Des sourires, des montagnes comme fond de décor, le Mékong de l’autre côté, des joueurs de boules à foison, dans des parties très animées, où on pouvait entendre fuser des « Ssébongé ! » lors de jolis coup. Des morceaux d’héritage. De la vie, de la vie qui sent la vie, de la vie de tous les jours, de la vie comme s’il en pleuvait, je crois que c’est ça, la vérité des gens ; c’est leur vie, pas la mienne, ou celle que l’on veut me faire manger. C’est beau un temple, mais un mec qui mange sa soupe comme tous les jours, parce qu’il le fait à cet endroit, c’est tellement plus beau. C’était au final un très belle journée, sans doute la plus belle de notre voyage pour l’instant. La vie ne tient à rien, l’amour non plus, tout est si fragile, si changeant. Nous n’avons pas recroisé David, nous avons envoyé un mail à notre ingénieur, pour peut-être se croiser à Vientiane. On y retourne demain, et si on ne le voit pas, on continuera notre route. La vie est tellement pleine de détails. Same same.

Samedi 25 octobre 2008, Travel Lodge, Thakek, 18h30.


La route a été belle, pour notre retour à Vientiane, dans un bus plus coloré, moins confortable, avec un problème de radiateur, et un peu de retard. Grâce à mes algues séchées en snack, d’ailleurs pas terribles, j’ai fait la connaissance de Christopher, un américain de Portland assez particulier. Il m’a un peu rappelé Jérémy. Crâne rasé, ancien prof d’Anglais en Chine pendant deux ans, il a appris le mandarin. Se plonger dans ce pays, qui parle Lao, est quelque chose d’étrange pour lui… Il s’est donné un an pour voyager, afin, comme il aime le dire, d’avoir d’autres choses à enseigner à ses élèves. Pratiquant la méditation, il fait sa route seul, et est parti de Chine pour continuer sur le Vietnam. On a pas mal discuté d’image, je lui ai parlé de mes projets, de documentaire, de l’idée du hors-champ de Deleuze, pour qui (entres autres, hein) choisir de filmer une image, c’est choisir toutes celles que tu ne filmes pas, en dehors de ton image. Ca lui a fait penser à l’idée du télescope. C’est une peu ça. Il m’a parlé d’une expo à Luang Prabang, dirigée par un occidental, et réalisée par des enfants Lao, il a trouvé très fort. Je lui ai suggéré de faire de même quand il reprendra son activité. J’espère qu’il le fera…Retour à Vientiane, on a trouvé une guesthouse sympa, et on a regardé nos mails, mais Soulidete, notre ingénieur, ne nous a pas répondu. On est retourné à la gargote qui fait des bouchées vapeur, et son patron qui me rappelle Yves Mourousi. Les lunettes, sans doute. Alice était fatiguée, elle avait mal au dos. On s’est un peu énervé, surtout par la fatigue, ce trajet de 10h était finalement éprouvant. Directement couché, on s’est levé, j’étais un peu dans le pâté ce matin. On est allé regarder nos mails, toujours pas de Soulidete. On a essayé de l’appeler, ça sonnait libre. Tant pis. On a donc décidé de prendre le bus pour Thakek. On est partis, après une bonne soupe du matin – ma première ! – pour le bus. Bus local, parfait quand ça ne dépasse pas 5-6 h. On a rencontré un lawyer, la route a été belle, et on a même vu deux mecs sur deux éléphants sur la route…Wha. Un superbe coucher de soleil, arrivé à la gare routière, et là, on se rend compte que les tuk-tuk ne sont pas pressés ici. Qu’est-ce qu’un tuk-tuk, d’ailleurs...C’est une sorte de moto bricolée en carriole à trois roues. Pas mal de déclinaisons en fonction des pays. Ca sert pour les petits déplacements. C’est classe, ça va pas très vite, ça permet d’apprécier le paysage, et de voir des véhicules pleins de couleurs, un peu comme une super auto-tamponneuse. On est arrivé ici, une petite propriété avec une quinzaine de chambres, très sympa, romantique, peuplée d’étrangers, mais à l’écart du centre de cette petite ville, c’est dire si c’est calme. J’ai l’impression que notre voyage prend forme. Je sens le bain, je quitte tout doucement mes reflexes. Tout doucement. Ici, c’est parfait pour se reposer, et quitter enfin le brouhaha de la ville et, dans une certaine mesure, celui des bruyants touristes. Beaucoup d’américains-australiens, quelques français, quelques allemands, c’est amusant de voir autant de ricains dans ce coin. Ils parlent fort. C’est l’anglais qui veut ça ? Non, ils parlent fort. Tous ces équilibres sont si fragiles, c’est toujours aussi perturbant d’être étranger, et étranger parmi les étrangers Une dernière rencontre à notre retour de Vientiane, pendant la pause-déjeuner : Un jeune Lao qui m’a demandé d’écrire mon nom, et d’écrire le mot « friend ». On cherche tous la même chose. Same same.

Dimanche 26 octobre 2008, Same same, 19h.


Après mon carnet d’hier, nous avons mangé, et consulté le volumineux guestbook. Il est rempli d’histoires sur « The Loop ». Après quelques lectures, il s’agit d’une boucle de quatre jours dans les environs, riches en cascades, forêts, caves, et autres coins. Ca tombe bien, on voulait louer une moto. Mais bon, quatre jours d’aventures pour un total débutant, à deux sur une moto, c’est un peu beaucoup…Nous sommes donc parti ce matin pour « the loop » d’une journée, et c’est déjà pas mal, j’en ai dans les pattes. Aujourd’hui, j’ai passé mon brevet moto Lao 100 cc, loué à Mr Ku, qui bosse ici. Ce matin, il m’a montré comment on passe les vitesses, il m’a dit « gentle »…Vitesses au pied, ça c’est une moto ! Moi qui n’ai jamais conduit une seule moto, ni un seul scooter d’ailleurs, je ne faisais pas le malin, surtout avec Alice derrière…Mais elle me faisait confiance. Des p’tits sauts au début, on a mis de l’essence, et puis direction route n°12. Cette route est incroyable. Des paysages magnifiques, des falaises peuplées de forêts, sur un large goudron : Parfait pour mon baptême ! J’ai enfin ressenti, et compris le bonheur des deux roues. Une perception étrange du point de fuite, qui semble se déformer doucement. La liberté. « Riding ». A 50 km/h, certes, mais ça n’a pas vraiment d’importance…C’est sûr, je me rappellerai longtemps de mon premier « ride », je ne pouvais pas demander mieux. Nous avons donc suivi la route de Mahaxay, en passant rapidement sur le chemin de « Bau Thom ». On n’a pas trouvé les caves indiquées sur la carte, mais visité des villages sur une piste en terre, vu les rizières et leurs chapeaux émergés, sous le grand soleil Lao. Yeah ! Pas très sûr de moi, mais sûr d’aimer ! Retour sur la route, on a pris le chemin des « Pa Fa Caves », 8 km de piste avec nids de poule, sable et autres ponts à planche…Un véritable examen de conduite, pour un débutant ! Arrivés là-bas, un temple dans une cave, enveloppé d’un silence sourd. Des Bouddhas par centaines, se perdant au fond de cette grotte. Un vieux fumant des herbes étranges dans un gros cigare, un peu de méditation, un regard qui s’élargit…Et un des Lao qui nous fait signe. On se rapproche tour à tour. Il nous fait une prière, en nous attachant un bracelet jaune. Un beau recueillement. Sortis, la lumière, les montagnes, la chaleur, retour sur la route, les 8 kms dans l’autre sens, et de retour sur la n°12. Nous avons raté « Xien Lab », et son vieux chemin de fer, ça n’est pas très important, la route est belle, je me crame les bras. Vroum ! Puis « Tha Falong », « le lieu des Français »…Niveau 2 ! De plus grosses bosses, des passages vraiment ensablés, c’est Paris-Dakar, le soubassement claque souvent le sol…Et une presque gamelle, beaucoup trop de pierres, on s’en sort bien avec deux bleus pour moi et rien pour Alice…Ok, on s’arrête là pour la moto, de toutes façons on était arrivés sur le site. On regarde les pêcheurs, on se rend compte qu’on est dimanche, et que c’est le jour idéal pour rencontrer des gens, venant ici pique-niquer. Justement, juste après, une famille a installé sa natte, et nous propose de manger. Les enfants se baignent, on baragouine quelques mots qui font toujours aussi rire, on leur fait comprendre qu’on est français, détail amusant devant ce lac. En partant, on rencontre un homme très vif, ayant appris le français, qui pêchait pas très loin, avec ses amis. Ingénieur en irrigation, il avait l’air très content de pratiquer cette langue qu’il avait appris pendant ses études, des années 60 jusqu’en 72. Vu son niveau, et le fait qu’il ne pratique presque jamais son français, il devait le parler couramment il y a quelques années…Il regarde TV5 de temps en temps, d’ailleurs. Mais sa femme ne comprend rien, nous dit-il. Une rasade d’alcool Lao – une sorte d’alcool de riz gluant – puis un morceau de poisson fraîchement pêché (miam !), et on repart pour la suite, « Pha Inh », pas très loin. Une belle grotte, avec plein de guirlandes faites en papier et en bouts de paille. Les décors sont toujours aussi magiques, on a le sentiment de rentrer dans le pays des Lao. Retour sur la route, une bonne soupe Pho dans une gargote, deux belges étudiantes qui viennent discuter avec nous, faisant le même morceau de parcours. Elles étaient sympas d’ailleurs. Elles se foutaient de la « loop », et des endroits à voir, elles cherchaient juste des coins pour se baigner. Et juste après, notre dernier spot, « Nang Aem », un grand site, plein de familles, et une immense grotte avec plein de recoins, plein de volumes, Indy n’aurait pas fait mieux. Très impressionnant. Une pause, la fin de journée s’approche, on reprend la route, cette fois pour rentrer, Alice me serre, blottie derrière moi, c’est beau, c’est simple, j’ai eu envie de penser aux dernière images d’ « Amélie Poulain », naïf comme je suis, mais aussi « Easy Rider », small version. Soleil couchant, aveuglant. Des fois la magie ne tient à rien. De retour à Thakek, on va sur les bords du Mékong siroter une bière sous les derniers rayons du soleil, c’est romantique, n’est-ce pas ? Retour sur notre dernier parcours à moto, mais maintenant, c’est sûr, on va relouer ces petits engins merveilleux. Aujourd’hui, on a vécu de belles rencontres, venant du Laos et d’ailleurs, vu des enfants jouer, des montagnes s’élever, des esprits nous entourer, des lumières nous éclairer, des virages s’illuminer, des frères se réveiller, et la vie augmenter, comme un livre qu’on ouvre et qui abonde de rêves. C’est donc naturellement, notre nouvelle plus belle journée.

Lundi 27 octobre 2008, Thongpasay quelque chose Hôtel, Pakse, 22h30.


Le bus. Une nouvelle journée de bus. Il a été plus long que prévu. Mais j’ai bien aimé. J’aime bien le bus. Ce matin, en l’attendant, on a rien fait, c’était bien. La route. Un bus local, le plus « local », comme cette chambre pas terrible…Euh, c’est un mauvais amalgame. Pendant cette journée, j’ai pensé un peu à ce carnet, qui baigne dans mon essence occidentale, au sens culturel et géographique. Cette recherche d’aventure, de vrai, de « local », est illusoire. Cette idée de manger les lieux, vouloir s’y poser, vouloir les voir défiler, chercher le vrai dans les rencontres, fuir les touristes, ceux qui nous ressemblent. Ah ah. On cherche ce que l’on n’est pas, en voulant le préserver aussi. Ca me rappelle ce moment, cet après-midi, après avoir chassé tranquillement mes idées de l’esprit, et respiré par le ventre. Le fait d’être dans la réponse. Le paradis, l’infini, le sens de la vie, les questions les plus larges me semblent toujours faire écho aux grands espaces. Et puis voilà. La fameuse phrase de Nzongo qu’il répète comme la vérité finale, a pris un sens subtilement différent. « La question c’est la réponse ». L’évidence est sans doute le plus court chemin vers la justesse, quand elle est sainement nourrie. Je me suis vu dans le paradis, créature et créateur. Réponse à sa question. Clairement. Sans autre secret que l’évidence qui m’entourait. Comme ça, au détour d’un horizon. Juste avant une pause-pipi. Et puis nous avons rencontré un couple de Béziers, presque retraité (un sur deux), routards, très sympas, qui nous on fait plaisir à voir, et qui me donne le sentiment d’avoir plein d’avenir ! Une pêche d’enfer, tout simplement. Nous avons aussi dîné avec un italien, quelque part entre Benini et Pierre Richard, et en même temps avec une élégance toute italienne…c’est amusant d’être en groupe. Demain, sans doute un petit tour en moto…Yeah ! Ah, détail particulier, après notre repas hier, un Canadien avait sa guitare et j’ai gratté au coin du feu, avec mon nouveau pouce sans panaris, et mon beau bracelet jaune. J’étais bien. Il a apprécié. Evidemment, il s’appelle David. La vie est un puzzle au présent.

Mardi 28 octobre 2008, same same, 22h59.


Une belle journée, sous le signe du 13. La chambre, la route, les plats, les gargotes, bref, les signes sont là où on veut bien les lire. Nous avons fait un morceau de la boucle, la « loop n°2 », avec une nouvelle moto. J’ai enfin pu déguster le fameux sandwich du matin, institution Lao, à base de pâté de viande, d’épices et de salade de papaye. Formidable, j’ai failli en reprendre un deuxième. On a recroisé Nadège et Jean-Loup, et puis hop, nouvelle moto ! Une Honda, toujours une 100 cc avec transmission manuelle, un peu plus confort, elles sont formidables ces motos ! Et nous sommes partis sur la route. Bon, on est fatigués, je raconte la suite demain.

Mercredi 29 octobre, dans le VIP bus pour les 4000 îles, 8h59.


Donc. La nuit fut trop courte, comme trop souvent…Nous avons donc pris la route n°13 pour aller voir les chutes de Tan Fan, sur notre belle Honda. Etrange, au début, je n’étais déjà plus dans le sentiment de découverte. La route n’était pas là même non plus, mais elle n’en était pas moins magnifique. Vroum ! Notre couple de Bézier, accompagné de leur sympathique italien, est parti pour faire la boucle complète, soit 200 km dans la journée. Nous ne faisons qu’une petite boucle de 100 km, bien suffisante pour mon deuxième jour de moto…Les premières cascades sur ce chemin sont très impressionnantes, malgré la situation éloignée du point de vue. Ces cascades siègent dans une sorte de gouffre gigantesque, et le point de vue est de l’autre côté. Immense. 200 mètres de hauteur. Un peu comme dans les films. On a essayé de descendre, mais la mousse rendait la descente impraticable, et nous a fait rebrousser chemin. Nous avions recroisés nos quinquas vitaminés, mais on a préféré les laisser tracer leur route. On a bu un café Lao pur jus, puisque nous somme sur le réputé plateau des Bolovens (tiens…), mais bon, ça n’étais pas l’extase non plus, contrairement au cadre. Ces chutes, c’est énorme, c’est même difficile à se représenter. C’est beau. C’est grand, c’est petit, on dirait presque un matte painting, un fond dessiné, comme dans les films. Et l’eau tombe. Indéfiniment, par millions de litres. Un peu de ventre rond, enfin de profonde respiration, et puis quand même, c’est de réputation mondiale, on a acheté du café et du thé (pour l’ilot-thé, bien sûr !), et nous voilà repartis pour les secondes cascades. J’ai mis mon casque (mp3) sur la moto, c’était bien. Quelle classe. Ces secondes cascades, bien que moins hautes, se sont révélés plus déconcertantes, puisqu’on a pu descendre jusqu’en bas. Dans le nuage d’embruns. Un arc-en-ciel éternel aux pieds de la cascade. Tous seuls. Une idée qu’on se fait du paradis. Je suis allé tout en bas. Et j’ai remercié le tout pour en être une partie consciente. L’Eveil est une permanence dans le présent impermanent, renouvelé à chaque instant. Comme aux portes du paradis, je contemplais, torse nu, les yeux ouverts, dans ce nuage d’eau, l’intensité de moment présent, sans honte, sans remords, dans toute la lumière que je pouvais voir. Dans toute la splendeur de sa perfection. Alors, toujours à chercher son frère à l’autre bout de la Terre pour trouver son miroir, à chercher le paradis perdu, l’arbre de vie, et le signe de ses portes. La multiplicité, et non l’unité, l’infini le contient, tous les arbres le sont, et je sais, si je l’ai vu, que c’était les portes, les grandes portes que je voulais voir, celles qui nous amènent là-bas, après, après l’arc-en-ciel. « Over the rainbow », c’était là, maintenant je sais. Le chiffre 13, bien loin du malheur ou du bonheur, porte la profondeur qu’on veut bien lui accorder. Nous sommes retournés plus haut pour manger, puis nous sommes allés derrière la cascade, où s’étendait, naturellement, un jardin d’une sérénité absolue. Une petite sieste sur une terrasse, seuls, nous étions là, présents, ensommeillés. Parfois la vérité nous effleure comme la caresse du vent qui vient nous réveiller, nous rappeler nos directions par nos sens. Nous avons alors errés dans ce jardin, dans cet Eden, dont on ne cernait pas les limites. Aparté. On vient de doubler un Jumbo rempli de Lao, dans notre minibus remplis d’Occidentaux. J’aurais toujours la fracture dans le cœur d’être différent, et pourtant « same same ». D’ailleurs, un Jumbo, c’est une sorte de camion pickup avec des petits bancs derrière pour caser un max de gens. Fin de l’aparté. En tous cas, nous avons contemplé une dernière fois ce jardin avant de partir. On a repris la moto, pour se diriger vers Paksong. Rien à voir, une ville-route, demi-tour, vroum ! Et là, la pluie. Pour une fois qu’on avait pas pris nos k-ways…Ah ah. Ca commença à tomber vraiment, on a donc fait une pause dans une petite gargote. Un nescafé, on regarde la pluie tomber et les autres passer. C’est beau. L’esprit de l’Eau. Avec force. Une gargote, à peine une gargote. Si vide. Si pleine. Des sourires. Du temps. Du temps infini, s’étirant comme un syndrome. Et puis on regarde la montre, on revient dans le temps qui défile, il va bientôt faire nuit, on reprend la route, grâce à nos magnifiques sacs-impers. C’est une spécialité vietnamienne très courue au Laos, vendue dans toutes les gargotes, même celles qui n’ont pas grand-chose à vendre. Quel beau couple dans cette gargote, d’ailleurs je les ais pris en photo, avec leur accord. On a repris la moto, c’était beau cette pluie, cette nuit qui tombait en accord comme un seul grand silence. J’entendais des voix dans les froissements de ma capuche, indistinctes, confuses. J’avais envie de les entendre. Je n’étais pas tout à fait sûr de la route, un « 13 » allumé nous l’a montré. J’avais envie de le voir. On a retrouvé nos français et notre italien, qui sont arrivés avant nous, en ayant fait toute la boucle…mais détrempés ! Une bonne fondue coréenne, et au lit. Voici ma boucle. Nous approchons des 4000 îles, et moi d’une certaine lecture de ce monde. C’est drôle quand même, cette vision du paradis, je l’ai vraiment précisé en l’écrivant, en faisant prendre mon esprit dans la réalité. Et maintenant ça existe en dehors de moi.

Jeudi 30 octobre 2008. Dans une gargote sur l’île de Don Khong. Vers 11h.


Il pleut. Nous avions prévu un tour en vélo aujourd’hui, le tour de l’île principale des « 4000 îles », cet archipel du Mékong au sud du Laos, et je ne sais pas si on arrivera à le terminer…Nous avons trouvé une belle guesthouse, enfin, une guesthouse qui n’est pas un hôtel déguisé ! Calme, jolie, qui sent la vie. Il y a des vieux magasines français dans la chambre, avec notamment une magnifique photo de notre Carla Bruni nationale, accompagné alors de Vincent Perez, qui venait d’avoir 27 ans. Une photo de Mitterrand avec Chirac. Une publicité pour les bippers « Tam Tam ». Cette île est vraiment très agréable, on peut dire que c’est le « Groix » Lao, il y règne un climat tranquille, très insulaire. Pour autant que cela veuille dire quelque chose…Cette île est entourée de centaines de petites îles, notamment au sud. Je ne suis pas sûr qu’il y en ait quand même 4000…La pluie semble se dissiper, la lumière réapparaît peu à peu. Nous somme à côté d’un port, enfin une pente bitumée plongeant dans l’eau. J’ai bu un café glacé en canette. Le toit est en tôle, les tables en bois. Quelques poules se promènent. Un homme note des choses sur un carnet de bord. Il discute un peu avec quelqu’un assis à côté de lui. Je ne comprends toujours rien au Lao. Plusieurs motos 100 cc, une petite table couverte de toile cirée bleue, au-dessus de laquelle flotte de grands sachets contenant d’autres sachets, des snacks divers. Sur la table, une quinzaine de boissons sucrées, avec ou sans bulles, font figure de présentoir. A côté, une caisse en bois vitrée abritant 10 paquets de cigarettes. La lumière se fait plus présente, les nuages plus légers. La pluie s’est arrêtée, Alice m’attend. Allons voir un peu plus cette île !

Même jour, Kan Khong guesthouse, 19h50.


J’ai l’impression qu’il est minuit. J’ai un peu chaud aux pieds, aux mollets, aux bras, au visage. J’ai l’impression que la crème qu’on a acheté à Thakek n’est pas vraiment « UV 3O », ce qui ne m’étonnerait pas plus que ça…La balade à vélo a été formidable, le tour de l’île est superbe, on a mangé dans une petite gargote, vu plein de belles choses, de beaux horizons, des enfants qui sortaient de l’école par centaines, un serpent. Alice a choppé une sangsue, mais ça va. Une très belle journée. Un vélo sur une île pour en faire le tour, c’est peut être une des portes vers le bonheur. La vie peut être douce ici, pour une française et un français en vacances. Un sentiment de liberté, de se propager dans l’espace comme un gaz, sans but autre que celui de s’étendre. Dans cette beauté immobile des paysages étrangers, nous enveloppant dans un calme plat et immédiat. Le bonheur d’être, d’exister. Lors de cette boucle, nous avons identifié (enfin surtout Alice) d’où venait cette magnifique plante, qui est aussi un fruit. Ca a le goût d’une noisette un peu verte. Ca ressemble à un arrosoir. Ou a un jouet. C’est le fruit du nénuphar. On a mangé un succulent poisson du Mékong pour 30 000 kips, soit environ 2,5 €. C’est marrant, parce qu’on se dit « C’est pas donné », vu le niveau des prix dans une gargote, alors que finalement, on est parfois près à payer deux à trois fois ce prix pour un demi dans un endroit branchouille à Paris. Le monde est bizarre, et on lui ressemble. Tellement différent, tellement identique. On a vu de belles couleurs au bord du Mékong pendant le coucher de soleil. Et un australien, ou un américain, bourré, qui parlait tout seul, qui disait qu’il était là dans les années 70, et qu’il avait perdu son cœur. Enfin, plutôt au Vietnam, qu’il disait. Va savoir. C’est quand même étrange toute cette vitesse, en quelques dizaines d’années. En tous cas cette île est un petit paradis, d’un calme exquis. Pour preuve, un jeune nous a dépassés sur sa moto, au tout début de cette journée à vélo, avec un gros « 13 » dans le dos.

Samedi 1er novembre 2008, dans un minibus, sur le territoire Cambodgien depuis 1h. 11h26.


Depuis Kon Kong, on a pris une pirogue avec « Monsieur Madame » (c’est le début de toutes ses phrases, pas sa tenue vestimentaire), un Lao parlant un peu français, pour rejoindre Don Deth hier. « No local boat ». Au bout d’une heure et demi de traversée agréable, on arrive sur cette petite île, d’à peine 1 km de long, relié à une autre, encore plus petite, Kon Konh, enfin quelque chose comme ça. Nous sommes directement allés à la guesthouse situé à la pointe nord de l’île, dans le bungalow parfaitement à l’angle nord. Une autre idée du paradis. Hamacs, pas d’électricité courante, une île comme on en rêve dans les agences de voyage. Peut-être est-ce son grand défaut. Elle est axée sur le tourisme, et c’est finalement difficile d’y échapper. Ca nous a aussi permis d’habiter une journée dans une extrémité délicieuse. Sieste. Hamacs. Rha… Aparté. Je regarde mon bleu sur mon genou gauche (celui de la moto) et il me fait penser à une galaxie, dans sa forme et ses couleurs. On une nébuleuse. Ca me fait penser aux fractales, cette idée du motif identique, quelque soit l’échelle. Je regarde les arbres, ils sont aussi motifs. Et nous, dans ce bus, une poignée de touristes. Motif. Les nuages majestueux aux allures de grands vaisseaux. Motif. C’est un peu comme en musique. Le motif afrobeat, par exemple, se situe bien au-dessus de sa technique. Ou les mandalas. Motif. Gimmick, plan, quelque soit le nom, l’objet est le même. Bon, fin de l’aparté. Donc, après la sieste, on décide de faire une balade à pied, pour rejoindre l’île Sud et voir ses cascades. Une belle balade traverse l’île, sous le soleil brûlant. Mes mains n’étaient pas encore guéries des brûlures à vélo. On a recroisé par hasard Jean-Loup et Nadine, qui ont pris un bungalow au Sud. Aussi, sur la route, un parisien croisé à Thakek, ça n’était pas la même histoire sans doute…Arrivés aux chutes d’eau, qui ressemblaient plus à des rapides. Endroit très fort. Déambulations en sirotant une noix de coco décalottée à la machette, c’était cool. Repartis vite, pour arriver avant la nuit. Sur la route du retour, notre plus beau coucher de soleil depuis le début de ce voyage, perdu sur le seul chemin traversant l’île. Retour au village du nord, une bière en jouant à « the-T » ( quatre pièces formant plein de figures), encore un bon repas – même si dans notre guesthouse personne ne voulait nous servir pour cause se série TV – pas de courant en rentrant, une bonne nuit, et repartis dans un minibus vip parce que la frontière est plus simple à traverser dans cette formule. C’est marrant d’ailleurs, minibus vip, comme expression, qu’on prononce « vipe » ici. Je ne me sens pas plus important dans un bus comme ça. Ou, inversement, je n’ai pas l’impression que les blancs, qui sont les utilisateurs majoritaires, soient plus importants. Enfin. Ca doit être culturel. Un stop à Stong Trang, et nous filons à Kratie, tant pis pour le Nord-est du Cambodge, nous allons plutôt voir le Sud-est…On doit être quelque part au milieu du voyage. Quelque part au Cambodge.

Même jour, U Kong guesthouse, Kratie (prononcer Kratché), 19h30.


On ne dort pas ici, mais on va y manger. J’ai commandé une Fish Amok, je crois que c’est avec du lait de coco, on va voir ce que ça donne. On a trouvé une guesthouse moyenne, et on part pour le Mondulkiri demain. On a été voir les dauphins au coucher du soleil, pas très loin d’ici, en « moto-dop », en mototaxi quoi, derrière le conducteur. C’était sympa, même si les dauphins n’étaient pas très exhibitionnistes. On a fait ça avec Jean-Loup et Nadine, qu’on a une nouvelle fois retrouvé par hasard. Mon chauffeur était d’ailleurs un nerveux de la poignée d’accélération…Enfin. Une belle balade en pirogue, on a vu quelques dauphins, en se rapprochant doucement à la rame. Détail amusant, le pagodier (ça se dit ?) a taxé de l’essence à un autre, et a rempli son réservoir avec sa clope allumée au-dessus. Retour ici, Jean-Loup et Nadine ont retrouvé l’ami qu’il devait croiser ici. Il fait chaud. Ici, ça me fait penser à l’Afrique, au Burkina Faso, par la forme du marché central, la chaleur, mais aussi la poussière, le côté sec. C’est amusant, le bordel du marché. La ville est toute petite, enfin le centre. Des jeunes jouent au badminton. Le Mékong n’est pas très loin. Les moustiques non plus. Ca gratte, ça gratte…Il y a ici des cigarettes « Alain Delon Paris », une idée de la classe, sans doute… « Same same », et aussi différent. Les assiettes sont arrivées, on va pouvoir attaquer…Miam !

Dimanche 2 novembre 2008, Arun Reah Guesthouse, Sen Monorom, Mondulkiri, 20h40.


Un endroit agréable, perdu dans le Sud-est Cambodgien. Quelques bungalows modernes en bois, orientés vers un grand jardin. J’aurai préféré qu’ils soient orientés vers l’extérieur et son paysage calme, mais ça n’est pas moi l’architecte ici…Après avoir regardé quelques guesthouses dans le bourg, on a opté pour ici, un peu à l’écart. J’ai le sentiment, contrairement aux observations du guide du routard, que le Cambodge a bien assimilé la valeur du dollar…La route a été épique aujourd’hui. Départ dans une sorte de Jumbo, assez serrés (voire quasiment empilés). On y a vu plusieurs femmes, âgées, la bouche et les dents colorées d’un rouge brun. Une française, qui fait la route avec sa nièce, Malika, d’origine cambodgienne par son père, nous a raconté que c’est à cause du Bétel qu’elles chiquent. C’est un critère de beauté, mais le bétel semble aujourd’hui illégal. Nous n’en saurons pas plus. Arrivés à une gare routière dégueulasse, on monte dans un pickup 4x4 pour faire le tronçon de piste restant…sur le toit ! Rodéo ! A cinq sur le toit, c’est assez sport, surtout vu la route, et surtout quand on est sur le toit de la cabine, tout à l’avant. Accrochés aux cordages, en tong, je ne faisais pas le malin au début…Le paysage s’est tout de suite révélé sauvage, quelques maisons parsemant la route pour seule variation.

Lundi 3 novembre 2008, same same, 20h30.


Hier, je me suis endormi sur mon carnet. Crevé. Avant d’arriver dans le 4x4, il y a un détail qui m’a ému dans le Jumbo. Une des deux vieilles, celle assise tout au bord, avait au moins autant de rides que d’années. Une belle femme, sur laquelle on peut lire son histoire. Elle m’a projeté dans ce qui a pu être la sienne, et je me sentais honteux. De lire sans pudeur qu’elle avait traversé les Khmers Rouges, et toutes les atrocités de ce génocide éclipsé. Toute la violence, la souffrance qu’elle a sans doute subie, du simple fait d’être toujours ici, du haut de ses années. Les proches qu’elle a dû perdre, la torture, même, peut-être. Les bribes que j’ai lues dans le routard et le lonely planet m’ont mises face à mon ignorance, sur ce qui a été comme l’un des plus grands génocides du XXème siècle. Avec comme objet principal le peuple au pouvoir, sans concession, par une épuration de caste arbitraire, incompréhensible et inhumaine. Polpot. Ce nom restait comme un fragment de cours d’histoire pour moi. Devant cette femme, son calme, je me disais que ses yeux avaient dû voir la mort dans ce qu’elle a de plus sombre, de plus sale. Et je me sentais honteux d’être là, de voir ça, de me rendre compte à quel point je fais partie de la même grande espèce humaine, j’aurai eu envie de m’excuser, de comprendre, de parler. Comme une projection étrange s‘emparant de moi, j’avais les larmes aux yeux, des larmes de gamin effleurant le monde. Qui ne servent à rien. Et je me suis senti seul dans ce Jumbo, désemparé par mon motif, celui d’être ici, d’avoir soif de nature, de culture, de découverte, de coïncidences, de voir les choses en grand, format cinémascope, et de le voir dans cet océan de réalité. Qui n’est que le reflet d’une goutte d’eau, celle que j’ai bien voulu imaginer. Et puis j’ai regardé les autres femmes, les filles, les jeunes, en me disant qu’elles n’avaient rien connu de cela. Et elles, qu’est-ce qu’elles en savent ? Est-ce que c'est comme nous, cette génération d’enfants de baby-boomers, lassés dès l’enfance des histoires de leurs grands-parents répétant comme une récitation leurs souvenirs de 39-45, comme autant de décorations ? Je n’ai jamais bien compris ma grand-mère maternelle, qui a plus subi que fait la guerre, et qui me répétait souvent ses épisodes préférés. « Ces jeunes d’aujourd’hui, il leur faudrait une bonne guerre, ça leur apprendrait un peu », qu’elle disait. Je devais avoir 18 ans quand elle est partie. Je n’ai pas connu mes autres grands parents. Aujourd’hui à 31, je pense que je verrai ses histoires sous un autre angle. C’est drôle, je réalise que c’est par elle que j’ai connu la culture asiatique. Elle habitait dans le 13e arrondissement. Elle avait ce tableau tissé, dessiné par des fils tendus sur des clous, formant un paysage oriental. Je me souviens ma première bouchée de nems, roulé dans la salade, trempé dans le nuoc-mâm, dans un petit resto pas très loin de chez elle. Ca semble si dérisoire, si cliché, si facile. Pourtant je m’en souviens, je l’écris comme je le pense. Ce quartier mystérieux grouillait de culture inconnue, et quand on est gosse et qu’on habite Sarcelles, ça vous fait des étincelles dans les yeux. Tang Frères et compagnie, toutes ces boutiques peuplées d’aliments bizarres, aussi indescriptibles qu’incompréhensibles, c’est assez fabuleux. Je me surprends toujours à me perdre vers Belleville, dans l’espoir de trouver quelque chose d’inconnu. Mais la digression s’étire, comme la pluie battante qui s’étend devant nous…Cette femme a résonné en moi d’une manière bien singulière, et peut-être que cette description, que je viens d’écrire, m’explique aussi à moi-même pourquoi ça m’a touché.

Mardi 4 novembre 2008, same same, 15h45.


Je vais essayer de combler mon retard sur ce carnet…Le pick-up, donc, pour le Mondulkiri. De superbes paysages, quelques maisons, et beaucoup de secousses. J’arrive à faire quelques photos. Après environ 1h30 à se tenir par des cordages, on mange dans une gargote…très gargote. Des plats étranges, mais bons ! On doit repartir, mais la pluie commence à tomber. Le pick-up étant vide à l’intérieur (on paye pour « inside » ou « outside »…On nous avait que « outside », c’est moins cher et mieux pour voir le paysage, on ne nous avait pas menti), le chauffeur nous laisse nous tasser, et la pluie continue de tomber. Et la route est de pire en pire. Digne des plus beaux passages du Camel Trophy…Et forcément, au bout d’un moment, on s’enlise, un autre pickup devant force le passage, il semble se renverser…Non. Enlisé. Ils sortent les chaînes, c’est boueux au possible. On finit la côte à pieds, mettant tous nos espoirs sur notre pilote pour remonter. Notre pickup semble aussi se renverser plusieurs fois, mais il ne finit qu’enlisé. Un autre double, en faisant hurler son moteur, il monte la côte, s’arrête à côté de nous, sort. Un militaire, aux chaussures noires vernies. La classe ultime sur cette piste improbable, surtout comparé à nous, les pieds dans la boue, manquant de se casser la gueule à chaque pas. Il redescend, à pied, remonte un autre 4x4 en deux-deux, en poussant le moteur à l’agonie, ressort à côté de nous, les chaussures à peine plus sale. The Expert. Tout le monde continue sa route, et notre pilote n’est toujours pas arrivé en haut. Il lutte beaucoup, y arrive enfin. On remonte, et on reprend la route. La jungle dense et humide reste notre seule paysage pendant une bonne demi-heure, et, d’un coup, des plaines, des vallées, des collines, clairsemées de frêles arbres jeunes. Une suissesse nous accompagnant, lisant son guide, nous a raconté que la région a été presque totalement déboisée, en raison de ses bois tropicaux précieux, depuis une bonne vingtaine d’années, malgré une sorte de programme officiel de protection. Le paysage est pourtant magnifique, mais prend un sens étrange. Très loin de la jungle, il s’apparente aux plaines du nord du midi, très dégagées. Et des petits arbres de quelques années. Comme un jeune jardin de banlieue à perte de vue. Je ne sais plus quoi penser devant ces paysages, qui nous entourent toujours. Ils sont beaux dans leurs puretés, soulignant leurs volumes. Et pourtant ils ont été défigurés, vidés. Je croyais arriver dans le calme, j’arrive dans le vide. La nature sait donner des visages gracieux aux horizons mutilés. C’est un sentiment particulier. Ce coin du Cambodge reste pour le moins basique et sauvage, la plus grande ville étant notre destination, Sen Monorom. Un petit village agréable. C’est un de ces coins de bout du monde, que l’on trouve pur, nous qui vivons à l’opposé. Mais quand on ne le connaît pas plus que ça, comment se rendre compte qu’il est encorné ? Un ciel gorgé d’épais nuages, profonds et lourds, crevés par un soleil brûlant, couvre les formes souples et douces des imberbes collines. C’est beau. Pourtant. Arrivés à destination, on trouve cette guesthouse en retrait. Et toujours du monde pour nous proposer de dépenser de l’argent d’une manière ou d’une autre. La distance qui nous sépare du bout du monde est beaucoup plus courte quand on compte en dollars…Négociations, on s’installe. Le lendemain, hier donc, on essaye de louer une moto pour faire un petit tour d’horizon. Pas donné, pour une moto pourrie. On se débrouille, on trouve quelque chose de correct, on part dans les montagnes…Ce n’était pas la bonne direction ! On retourne, et la pluie. La pluie. On mange dans un resto local, très bon. On rencontre Orm, qui nous propose un tour d’éléphant, moins cher que notre guesthouse. En plus il vient du village situé au point du départ de la balade…Raison de plus ! On essaye d’aller sur Internet, mais la pluie stoppe le courant. Bon, je vais me faire raser, tiens...Toujours un peu tendu pour aller chez le barbier, on se dit que tout peut arriver, avec ces grands lames à l’ancienne…Il m’a très bien rasé. J’étais soulagé quand ça s’est terminé. On attend encore, encore, la pluie n’en finissait pas. On a mangé dans un bon resto du coin, qui s’est avéré chinois, comme la plupart des choses ici. Les routes sont par exemple tracées dans le Mondulkiri par des entreprises chinoises, faisant travailler des chinois, qui s’installent d’ailleurs de plus en plus. Très curieux, cette emprise chinoise sur le Cambodge. Il y a aussi la même chose au Laos. La Chine a un rayonnement très fort par ici. Bref, c’était bon, mais pas Khmer. Rentré, la pluie, la nuit, la pluie, nous avions presque fait une croix sur notre balade en éléphant dans la jungle. Mais ce matin, grand soleil, ça commençait même à être sec. Orm est arrivé à la fin du petit déj, visiblement il connait ceux qui tiennent la guesthouse, qui semblaient moyennement apprécier…Nous voilà partis à trois sur la moto, sans casque et sans rétro sur les pistes, ici c’est normal. Des idées sur la sécurité qui sont bien différentes. On arrive dans son village, on croise notre éléphant sur la route. On l’attend dans la maison de son frère, qui semble son jumeau. On monte dessus, sans grande confiance, et nous voilà partis, Orm nous laissant avec le proprio-guide de l’éléphant. Deux bonnes heures à se faire balancer, pour arriver à côté de waterfalls (ha ça y est je commence à avoir des symptômes américains), plutôt de petites rapides, d’ailleurs, en pleine jungle. La classe. Depuis Putang, le village de départ, dont les alentours sont des reliefs dénudés, nous avons pris un chemin s’enfonçant au fur et à mesure dans la jungle épaisse, variée, étouffante, grouillante. La jungle. Sur son rythme chaloupé, l’éléphant, c’est l’extrême mesure de la force tranquille, et le meilleur compagnon pour découvrir la jungle sans sueurs. Je n’imaginais pas à quel point un éléphant peut passer partout. Côtes ou pentes raides, défoncées, boueuses, barrés de troncs ou d’arbres, rien ne l’arrête, il passe partout, à la vitesse d’un marcheur rapide…mais qui n’est jamais ralenti par les obstacles ! Et puis du haut de trois mètres, on voit bien mieux ! Et qu’est-ce que ça bouffe, ça arrache avec sa trompe toutes les cinq minutes des touffes énormes, ça mâche, ça barrit, ça fait sur le chemin, ça a une peau épaisse et poilue. C’est marrant, et sacrément pratique. Et ça obéit plutôt bien ! Une fois arrivés, un bon bain (pour l’éléphant), et nous revoilà repartis pour l’autre partie de la boucle. Je comprends mieux pourquoi Ganesh est un éléphant. C’est presque imperturbable, et ça ne vacille jamais. C’est lourd, c’est dense, c’est calme, c’est lent, mais ça va partout. On pourrait croire que c’est en perpétuelle méditation. C’est peut-être pour cela qu’il m’ait venu un moment l’idée de voir mes films comme des méditations. Voir des films, c’est fixer un cadre et s’y projeter, comme finalement peuvent le faire les Soufis, ou ceux qui pratiquent le Zazen dans une autre mesure. C’est alors un espace de médiation accessible, dans une direction, un développement, une vision des choses. Et ça me paraît assez proche de certains réalisateurs asiatiques, et leurs longs plans-séquences. La contemplation n’est qu’une étape vers la méditation, et peut-être qu’au lieu de parler de cinéma contemplatif, il vaudrait mieux évoquer l’idée d’un cinéma méditatif…A méditer. En tous cas, sur la route du retour, nous n’étions pas en méditation quand s’est abattue la pluie diluvienne…Merci k-way ! Une très longue côte raide, ruisselante, boueuse, et notre monture n’a pas faibli, trouvant toujours le temps de grignoter sur le passage…avec son déhanché inimitable. Et la balade s’est terminée sous la pluie, tout comme notre retour. Nous sommes retournés avec Orm au resto où nous nous étions rencontrés, déguster une soupe de poisson épicée à l’ananas et aux tomates vertes…Un régal. Et puis enfin nous avons réservé notre départ demain pour Kompong Cham, une petite étape sur le chemin de Siam Reap et les temps d’Angkor, où la magnificence des temples semble devoir se mesurer avec leur impressionnante fréquentation touristique…Dernière soirée dans le Mondulkiri, j’espère que demain il ne pleuvra pas !

Jeudi 6 novembre 2008, dans un bus vers Siam Reap, 12h32.


Demain, c’était hier. Hier, il n’a pas plu le matin, mais la route était encore pire qu’à l’aller. Ainsi que nos places. La personne a qui on a booké le trajet jusqu’à Kompong Cham était morte de rire quand on lui a dit qu’on avait fait l’aller sur l’avant du toit. « Mais non, derrière ! ». C’était sans compter le monticule d’affaires qui nous font penser qu’elles sont plus importantes que les passagers…Pas très bouddhique, tout ça. Deux chaises aussi horribles qu’énormes trônaient dans le tas attaché. Juste avant de partir, j’ai essayé de récupérer ma casquette, que j’avais oubliée à l’entrée de la guesthouse, mais ils n’ont pas trouvé la clé…Un morceau à moi dans le Mondulkiri ! Détachement, détachement…On grimpe dans le pickup, une chaise dans le dos, je n’étais pas de bon poil. Au bout de dix minutes, je me suis installé dos à la route, accroché aux deux chaises. Alice a trouvé une place inconfortable à souhait sur un des côtés. Et le conducteur roulait pleine balle, j’ai vraiment fait du rodéo…Le fameux passage difficile s’est révélé un peu moins difficile à traverser, mais plus impressionnant…Avec de gros coups de soleil sur les mains et la nuque, nous continuons la longue route. J’ai l’impression qu’on va à vitesse accélérée. L’impression du point de fuite me revient, mais inversée. Dans ce paysage sauvage, tout semble s’avaler, se refermer dans ce point, comme une histoire qui s’en va. La route est toujours aussi vierge et colorée, paisible et changeante. Mais là, vu d’une manière très rapide et mouvementée…Nous pensions retourner à la gare routière, juste au début de la piste. Le pickup va en fait directement à Kompong Cham. C’est ce qu’on en a déduit sur le terrain. Enfin plutôt sur le pickup. Evidemment, sur le bitume, il s’est mis à rouler encore plus vite, mais au moins c’était stable. De là, nous avons dû mettre deux bonnes heures pour arriver dans une petite ville, où j’aurai aimé rester plus longtemps si nous avions eu plus de temps. J’ai tout de suite aimé son rythme tranquille, au bord du Mékong. Ville de passage, et pourtant ville attachante. Nous avons trouvé une petite guesthouse sympathique, avec un beau balcon donnant sur le Mékong. Un anniversaire avait lieu en bas. Nous avons allumé la TV, pour une fois qu’on en avait une, cherché une chaîne d’infos en anglais…Bingo ! Obama Président ! Yeah ! Et puis largement…On s’est d’ailleurs demandé, s’il n’y avait pas eu la crise…Même résultat ? En tous cas ça, nous a fait du bien d’entendre cette nouvelle. Et puis, on s’est promené un peu dans cette ville, sur le marché, boire un jus de fruits. C’était bien. J’ai trouvé chez une petite vendeuse dans la rue, une viande séchée que j’achète en sachets...mais grillée. Bref. Nous nous sommes un peu posés dans notre chambre, devant le Mékong, ce grand pont le traversant, et la nuit qui tombait, avant d’aller manger. Dans un endroit très bon, mais fait pour les touristes, et qui m’a un peu déprimé. La TV faisait tourner des images de la victoire d’Obama, Alice a commandé un hamburger pour fêter ça, on écoutait du Johnny Cash ou un truc du genre, et ça discutait anglais de partout. Ok, on rentre, on matte la TV. Un téléfilm français sur TV5. Hé ben, ça change. Décollés ce matin dans un VIPbus, et là, bientôt arrivés à Siam Reap, la page est vite tournée.

Samedi 8 novembre 2008, sur les marches du premier niveau du Bayon, Angkor, 13h33.


Le trajet de ce VIPbus a encore révélé de beaux paysages, comme ces rizières étendues jusqu’aux palmiers, au bout de l’horizon. Mais Siam Reap est bien plus animée. Ce gros village n’est qu’à quelques kilomètres de la fameuse cité d’Angkor, le lieu de tous les adjectifs et superlatifs possibles. Maintenant que nous sommes à la fin de la visite de ses principaux sites, je le comprends mieux. Le routard nous a encore dirigés vers une guesthouse très sympathique, familiale et bon marché. Hamacs, terrasse, simple, détendu. Un peu à l’extérieur du centre-ville, donc parfait. Une bonne soirée à découvrir le BBQ cambodgien local, à la sauce à l’huitre, ma foi très goûtue. Le lendemain, hier donc, nous avons parcouru ce que l’on nomme ici la « petite boucle », c’est-à-dire la route qui parcourt les sites majeurs de la cité d’Angkor. Un tuk-tuk loué pour la journée, et nous voilà partis pour les grandes constructions dédiés aux dieux asiatiques. Nous avons fait la boucle dans le sens inverse, contraire aux aiguilles d’une montre. Mais il n’y a pas vraiment de règle au final. Je n’énoncerai pas tous les noms, cela ne servirait pas à grand-chose. Notre 1er temple nous a fait comprendre l’échelle et les motifs de cette gigantesque cité, où la nature démontre à quel point elle sait reprendre ses droits.

Même jour, guesthouse « Fresh Air », Siam Reap, vers 17h.


De la guesthouse, la suite que je n’avais plus envie d’écrire tout à l’heure. Plutôt envie de méditer un peu. Bref. En face de ce temple, un immense bassin. Des ruines colossales, qui rendent compte de la taille de cette cité. Puis un temple-montagne, avec de grosses pierres en forme de marche à gravir, se rétrécissant vers le haut…Casse gueule ! Une géométrie, une symétrie, un symbolisme émane de chaque lieu, dans les formes générales autant que dans les innombrables détails des bas-reliefs, sculptés dans la plupart des pierres. Une belle vue, et un tuk-tuk qui nous attend. Sans doute le meilleur moyen de découvrir le site. La petite boucle fait, je crois, une trentaine de kilomètres. Puis le grand bassin, et le centre de la cité, Angkor Thom, avec le fameux Bayon, et ses visages sculptées dans les tours. Toute l’histoire des Khmers et des Chams gravée sur tout le pourtour en bas-relief. Mon temple préféré, ainsi que celui d’Alice. On mange sur place, puisque des dizaines de gargotes accumulent les propositions, qui fusent en permanence. C’est très touristique - ce qui n’est pas très étonnant - mais on le ressent bien plus par les vendeurs permanents, de tout et de rien, que par les autres touristes. Ils sont nombreux, mais finalement assez étalés. Enfin, le bijou principal, Angkor Vat, représentant l’univers, installé sur une sorte d’île dessinée par d’immense douves, l’isolant du reste du site dans un majestueux carré d’eau. Un lieu très beau, très impressionnant, mais forcément très fréquenté. A tel point que je me sentais un peu bizarre. Après quelques errances, j’ai trouvé un angle donnant sur le point de vue du second niveau, tout petit, très calme. J’ai médité. Ca m’a fait beaucoup de bien. Alice a fait un petit tour pendant ce temps, et pris d’ailleurs quelques photos que j’aime bien. Puis je me suis levé, j’ai marché un peu, je regardais autour de moi avec un détachement certain. Il a plu. Puis on s’est retrouvé, nous avons encore errés un peu, dans ce palais à ciel ouvert et trempé. Je me sentais un peu vide face à tous ces gens prier, et faire des offrandes, et se faire adresser des « Good luck for you ! », devant une statue d’un homme qui médite. Je ne voyais pas cela comme ça, même si je ne pouvais pas l’imaginer décemment autrement. Sur la route de la sortie, j’étais heureux d’être vivant, ici, à ce moment, avec Alice, ressentant la pluie chaude qui nous mouillait, qui nous pénétrait de sa réalité. Il y a eu un arc-en-ciel au-dessus du temple, de ces trois grands tétons élancés vers le ciel. C’était vraiment particulier. Et puis retour ici, à Siam Reap, à manger dans un resto classe pour occidentaux un BBQ cambodgien de crocodile et de serpent, et c’était très appétissant, et très bon. D’ailleurs le crocodile c’est meilleur que le serpent. Il y a une rue à Siam Reap consacrée aux touristes, qui viennent manger le midi ou le soir, de retour d’Angkor. Pubs, restos divers, service impec’, décor soigné, au millimètre, éclairage tamisée, musique internationale. Le voyage est parfois à une rue, dans un sens comme dans l’autre.

Dimanche 9 novembre 2008, dans le bus vers Phnom Penh, 14h30.


Je commence à courir après ce carnet…Hier, donc, comme d’habitude, seconde journée à Angkor. On est partis à 5h du matin pour voir le lever du soleil sur Angkor Vat. Evidemment, on n’était pas les seuls, loin de là, mais le spectacle était de taille. Assez magique. Un peu de méditation pendant qu’Alice dessinait toutes ces couleurs changeantes. Encore un moment suspendu. Et puis nous avons parcouru la grande boucle dans la matinée. La grande boucle est le second parcours touristique traversant les sites principaux d’Angkor. Encore des temples, toujours des temples, ils sont magnifiques, mais se ressemblent, et deux jours pour des néophytes comme nous, c’est largement suffisant pour en voir beaucoup sans être vraiment gavé, ce qui est important…Un petit tour vers le Bayon après manger, on est rentrés, on a glandé, et il a plu, encore, on est donc restés dans la guesthouse. Télé allumée, happy chicken soup, et la journée s’est achevée. Ca y est. On a vu ces temples, les plus grands du monde. Encore une fois, j’ai vu qu’aucun dieu n’y était caché, que les endroits les plus sacrés ne cachent que la vacuité, dans tous les sens du terme. Et surtout dans le bon. Il est difficile de s’imaginer comment étaient ces grandes cités, malgré leurs beaux restes. Ce genre de lieu m’évoque un sentiment étrange, entre l’émerveillement et l’indifférence. La portée, l’ambition des hommes ainsi que leur désuète condition. Aussi haut, nous n’en serons toujours qu’en bas. Sans rien avoir à chercher d’autre que ce que l’on a déjà. Ces grands édifices, sacralisant un homme simple, cherchant le vide, et le trouvant. Toujours le même refrain, finalement, cet écart entre ces poignées d’hommes ayant su tendre vers quelque chose de plus grand qu’eux, et ce que d’autres hommes en ont fait. Et après, ce que d’autres en on dit. Ou comment passer d’un pôle à l’autre. Sur le bord de la route, les rizières se font scalper par des chapeaux de bambous, bordé par des arbres exotiques. Je voudrais parfois avoir la force immuable et pure de ces grands arbres qui grandissent sans bouger, sans espérer. Ca me rappelle la vague dont m’avait parlé David, à Luang Prabang. Nous sommes une vague. J’ai beaucoup aimé cette image. Le tout, c’est la mer. Et la conscience qu’on en a, est une sorte d’émergence, sorti du tout, mouvante, glissante, comme une grande vague prenant vie dans la mer. Mais cette vague, sans l’eau qui la supporte, et qui la constitue, n’est rien. Elle a un lien permanent avec le tout. Elle n’est qu’une force, finalement, une énergie, une vie émergeante. Notre problème, selon lui, est de croire que nous ne sommes que des vagues sans eau, sans mer. Indépendantes. Ce matin, avant de partir, le patron de la guesthouse nous a montré un détail très spécial, son élevage de crocodiles : Les petits, et puis les adultes. On a assisté au repas, deux sacs de serpents, c’est quelque chose. Une bonne douzaine (treize nous a-t-il dit) dans un petit bassin, ça fait du monde…Il y a des choses comme ça, il vaut mieux les savoir le dernier jour…D’ailleurs, nous avons élucidé, grâce à Chan, un mec très sympa vivant dans la guesthouse, une grande énigme. Déjà entendu vers Coroico en Bolivie - ce qui n’est pas vraiment dans le coin - une sorte de cri d’oiseau particulier s’est manifesté dans le Mondulkiri. Très beau. J’ai essayé plusieurs fois de l’enregistrer, sans succès. Il fait un cri particulier, très précis, une fois toutes les vingt minutes environ. On imaginait avec Alice une sorte de toucan en plus petit. Et dans cette chambre à Siam Reap, l’oiseau est venu, tout près. Il chantait très fort. Il semblait derrière notre fenêtre. Magnifique, sublime. Mon ami l’oiseau. Mais malin, l’animal. Pourtant si près, impossible de le voir. J’ai enfin réussi à enregistrer un bout de son chant, sans connaître la couleur de l’oiseau. Un soir, j’ai demandé à Chan s’il connaissait son nom. Il m’a dit « Tohké », « Kéko ». Il m’a montré du doigt un lézard, il m’a dit « Le même en plus gros ». C’est un énorme lézard vert, tacheté d’orange. Inimaginable. Ca m’a fait penser à l’homme mystère d’Amélie Poulain. Ce matin, Alice l’a aperçu derrière le volet, ceci expliquant cela (le kéko, évidemment). Une petite photo, et il est parti. Il faisait bien trente centimètres de long. Il a chanté pendant les trois nuits. Ca nous a beaucoup plu. Des fois, il y a des choses qui se passent devant nous, on peut y croire solidement, sans rien connaître, se tromper totalement, et pourtant être heureux quelque soit l’étape. La vérité, le réel, sont si mouvants que parfois, je me dis que sans l’imagination, ils ne pourraient pas exister. Je me dis aussi que parfois, j’évoque des choses trop grandes, que certains pourraient s’y perdre, puisque je m’y perds souvent. Comme on peut se perdre sur la Terre. Et puis je me dis que c’est comme une île. On n’est jamais vraiment perdu sur une île. Finalement, c’est une question d’échelle. Je me rappelle, hier ou avant-hier, avoir pensé au voyage comme à mon sentiment, petit, lorsqu’à la piscine, je suis allé nager dans le grand bassin avec des lunettes. Immense. Un vide immense sous l’eau. Gigantesque. Comme un autre monde. Alors que ce sont les limites de ce bassin qui m’ont donné l’échelle de cette grandeur. Ce qui peut sembler sans fond n’est souvent qu’une impression. Le voyage comme un grand bassin, celui de la vie, dans les limites rondes et bleues de notre petite île flottant dans l’immensité, de notre grande mère à tous, c’est une idée qui me plaît assez…

Mardi 11 novembre, Vanna guesthouse, Kep, vers 19h.


La route nous a ensuite amené à Phnom Penh (prononcez Pnom pène), et c’est une vraie capitale, dense et grouillante. On a eu l’avantage - et le malheur - de la voir pendant le « water festival », la fête de l’eau. C’est une fête autour…de l’eau. Courses, Défilés, Bateaux-Totems, Apparemment, c’est presque deux fois moins dense, normalement. Là, c’était l’enfer. Paris apparaît à côté comme une petite bourgade tranquille. Pas dans les dimensions, mais dans la densité. Il est très difficile de se rendre compte d’une ville en y passant si peu de temps, et surtout quand elle fête quelque chose d’aussi spécial. Toujours est-il que nous ne sommes restés qu’une journée et deux nuits, tant l’effervescence prenait des allures de bordel exténuant. La première soirée, nous avons fait un tour sur les quais, et vu quelques pagodes illuminées, mais aussi plein de monde, plein de circulation désordonnée, dans une mesure effrayante. Pour un parisien, une telle phrase est lourde de sens…Bref, le lendemain, visite du palais royal et de sa pagode d’argent, bien que le palais royal ne puisse être visité, ni les jardins, à cause de la fête…Enfin, le tarif reste le même, hein…Ca me rappelle cette phrase amusante du guide du routard, qui dit quelque chose comme : « Les cambodgiens n’ont pas encore bien assimilé le coût de la vie occidentale ». Pourtant daté de 2008-2009, les prix indiqués peuvent se multiplier par deux (une fois négociés bien sûr), et beaucoup d’infos sur les routes, les distributeurs, etc. sont dépassées. Enfin, surtout en ce qui concerne l’argent, de près ou de loin. Ca reste une base utile, mais c’est un pays qui va très vite, à tel point que les guides de l’année prochaine sont déjà périmés…Même si les guides ne sont jamais très à jour. Bref, la pagode d’argent, blindée de touristes, perd son aura sacrée, mais reste belle à voir. Finalement, on se dit qu’on ne restera qu’une seule journée à Phnom Penh. Next. S-21. Passage obligatoire, forcément très fort, très dure, et nécessaire dans cette capitale. Ancienne école, bétonnée à la va-vite, ce lieu est devenu le centre de torture et d’emprisonnement, le camp de concentration, on peut le dire, des Khmers Rouges pendant les années 70. Curieuse époque, de ma naissance, où certains essayent de vivre leurs utopies, pendant ce génocide inhumain. Eh, tiens, comme quoi on est toujours à l’opposé de ce qu’on raconte, je suis vraiment en train d’écrire dans un cadre idyllique. On est dans un bungalow surplombant la côte, au bord d’un parc naturel rempli de plantes, de vert, de vie. C’est le plus bel endroit du monde, peut-être.

Jeudi 13 novembre 2008, île du lapin, au large de Kep, 11 h passé.


Donc…Nous sommes ensuite allés manger un morceau du côté du marché central, couvert par une sorte de grosse coupole, elle aussi assez 70. Fatiguant. Puis, le marché russe, où soi-disant, on y trouve tout ce que l’on désire, mais on n’y a trouvé que de la pacotille chinoise. On est ressorti très déçu, on pensait trouver plein de souvenirs, de trucs à acheter, mais ce marché s’est révélé vraiment inintéressant, bruyant, et beaucoup trop chinois. Un instant de bonheur toutefois : J’ai trouvé une vendeuse qui faisait des desserts vietnamiens, je crois, ces fameux desserts qui ont participé à mes débuts asiatiques, du côté du 13e. Je me rappelle d’un dessert dans un grand verre allongé, fait d’une sorte de lait de noix de coco, où baignaient de gros fils verts sucrés, quelques boules translucides, et des glaçons cachant dans leur centre un litchi. J’en ai retrouvé dans les superettes asiatiques de Belleville, mais là, grand sourire satisfait à l’appui, même parfum, même saveur, j’ai tout avalé goulûment, j’ai même pris son stand en photo. Elle a accepté d’un air un peu gêné. Enfin, notre tour dans ce marché russe, réputé pour sa variété, nous a montré une fois de plus que la Chine occupe une place très importante ici. Les boutiques, les restos, et surtout la marchandise, sont essentiellement chinois. Un peu penauds. Nous avons recroisés par hasard Malika et sa tante, que nous avions rencontrés dans le Mondulkiri, et qui sont d’ailleurs sur une de mes photos, par hasard aussi. Elles nous ont dit que lorsqu’elles étaient passées à Phnom Penh trois semaines plus tôt, il y avait deux fois moins de monde…Ca nous a rassurés. Nous avons fait un petit tour de nuit, vers le Palais Royal. La foule. On s’est assis, à ne rien attendre, comme tout le monde. Les foules sont l’endroit idéal pour se fondre. Ca nous a fait du bien. Un petit feu d’artifice, et puis vite rentrés. Le lendemain, avant-hier (le temps passe), départ pour Kep. Une autre belle route, un petit village balnéaire, et la mer. Belle mer, chaude mer, plage riquiqui et pas propre, mais bon, on reste français, quoi…Une ballade dans le coin, quelques bâtisses abandonnées étrangement plantées, plein de construction en chantier, et une guesthouse perdu dans la jungle de la colline. Bungalow, hamac. Vue sur mer. La brise. Le soir, crabes et calamars au village des pêcheurs au bord de l’eau. Difficile de faire mieux. Notre voyage prend des allures de vacances, c’est une bonne chose de terminer par ça. C’est amusant de voir que l’idée de notre mois de novembre en France, réputé pour être le mois le plus déprimant, est une vision très relative. Ici, ciel bleu, mer chaude, chaleur, brise. Tropical. Ca tient à rien, le monde, et la manière dont on le perçoit. Hier, location de moto. Vroum again ! Quel pied, la moto, dans ces coins. Nous avions en plus une quête : Trouver la plage secrète. Avec une assez bonne carte, faite à la main, nous l’avons trouvé sans trop de difficultés. Plutôt une succession de petites plages de pêcheurs. Et là, forcément, quelques personnes du coin. L’air de la chanson de Katerine me vient en tête : « Tu vois, on est jamais seuls au monde, même sur les plages blondes, de Wallis et Futuna…». On a mis le temps pour fixer nos paréos sur la plage, à ruser avec le vent, ce qui nous a valu la présence d’un petit groupe, nous regardant comme une attraction. Un peu de baignade, un peu de bronzette, mais pas trop (ça brûle, ça brûle), quelques photos pour le souvenir. Un moment de calme. Et en route pour trouver quelque chose à manger. Nous avons mis le temps. Puis la recherche d’un Vat, perdu quelque part sur la carte dessinée. Il était calme, très calme, perdu au fond d’un long chemin. Dans un beau jardin, un temple, et un Bouddha coloré, comme les fresques aux murs et au plafond. Alors, le calme et le silence aidant, j’ai médité. J’ai pensé à ce détail que nous n’avions encore pas vu ailleurs : le temple avait, tout le long de ses murs, des miroirs, de sorte qu’ils se reflétaient à l’infini. Assis, j’ai regardé ce Bouddha, fixé son troisième œil. Son regard. Il s’est transformé, il a pris plein de visages, de formes. Il ne me montrait que ce que j’étais. Comme une conversation avec moi-même. Comme ses miroirs conversant dans l’infini de leurs réflexions. Rien. Tout. A l’intérieur. La seule question sans réponse. Au creux de mes réflexions intérieures, l’infini. Et son visage auréolé. L’origine de l’auréole, à l’intérieur. J’ai rejoint Alice, qui s’est promené autour du temple, serein. Nous avons repris la route. Après coup, on s’est rendu compte qu’il ne s’agissait pas du temple indiqué sur la carte. Qu’importe. Puis nous avons cherché une plantation de poivre, que nous n’avons pas trouvé, mais au passage, à demander notre chemin en Khmer aux gens qu’on croisait, nous avons fait rire beaucoup de monde. Le soir, le même festin que la veille, accompagné cette fois d’un français, un soixante-huitard désabusé, comptant sur la jeunesse pour régler notre société. Il était venu au Laos et au Vietnam, début ’70, il ne supporte pas cette forme de victoire américaine, de capitalisme omniprésent. Il doit y en avoir beaucoup, finalement, des bonhommes comme ça. Qui ont l’impression que les USA ont perdus la bataille, mais gagné la guerre. Le soir, ou peut-être le soir d’avant, allongé sur le hamac, j’ai regardé une étoile briller. Elle bougeait, puisque j’étais sur le hamac. Ca m’a rappelé une idée de mon enfance, une de plus. Je rêvais de déplacer les étoiles par ma pensée. Ce qui, en soi, n’a aucune utilité, en plus d’être totalement impossible. Et là, cette étoile boug

Vendredi 14 novembre, dans un mini van vers Sihanoukville, vers 11h30.


Oula. Plus d’encre. Et puis j’en avais assez, j’ai préféré regarder la mer. Et là, donc, cette étoile bougeait, un peu en cercle. J’ai trouvé ça beau, comme une réponse à cette question d’enfance. Toujours la même récurrence, j’ai vraiment l’impression de me répéter à travers mes histoires différentes. Et du même coup d’approcher quelque chose. Bref, hier fut consacré à l’île du lapin, au large de Kep. Un peu plus cher de booker depuis la guesthouse, mais bon, pas envie de se débrouiller. Dans un bateau, on retrouve notre soixante-huitard, Christian, qui va dormir sur l’île. Elle est paradisiaque, carte postalesque au possible, entre une affiche 4x3 et un spot TV Atoll avec Antoine. Des petites baraques où on peut manger du crabe, ou du poisson, ou des gambas. Des hamacs. Relax. Ca sent le camp de vacances à plein nez ! On fait un tour, et on trouve, sur les conseils de notre ami Christian, une petite plage déserte. Merci Christian. On installe notre hamac entre deux palmiers, il fait chaud. La mer est bonne. Paradis perdu. C’était comme croquer un morceau de nuage, l’arbre de vie à l’horizon. On est retourné vers midi, chercher notre lunch inclus dans la traversée, foutage de gueule dans une barquette froide, on préfère les fruits de cette belle mer, et retourner sur notre plage. C’était là où j’ai écris, où je n’avais plus d’autre encre que celle s’étendant à l’infini devant mes yeux. Quelques insulaires croisaient avec sourire notre immobilisme. Aucun touriste peuplant la grande plage n’est venu jusqu’ici l’après-midi. Les palmiers nous soufflaient leurs chuchotements, conversant avec les paresseuses vaguelettes s’échouant sur la plage. Un peu l’impression d’être dans une des deux fins de « 99 francs », quelque part. Un peu de musique, « All I Need » de Air, évidemment. Accessoirement, « Everybody loves the Sunshine » de Roy Ayers. Ca rend presque vide, tout ce bonheur. Et en même temps, c’est très bien de ne pas dormir ici, de ne pas recommencer cette journée un deuxième jour, qui serait forcément moins bien. Retour sur la plage principale, notre Christian nous a montré ses dessins, puis a essayé de nous narguer avec sa provisoire insularité. Détail amusant, il avait un T-shirt avec un autocollant « Ti Bedeff, Groix ». On s’est promis de se recroiser ici, à Groix, ou a Trévise, où il vit. Les coïncidences peuvent avoir d’étranges couleurs. C’est un sacré personnage, criant à qui veut bien l’entendre qu’il faut sortir l’Italie de l’Europe. Lucide, désabusé, mais finalement sensible, cultivé, artiste, sarcastique. Un personnage seul et complexe, courant après la simplicité. L’esprit des îles. L’esprit de l’eau. Un salut ensoleillé, retour sur Kep se gaver, et le mot est faible, de calamars et gambas. « Big », please. On a eu du mal à dormir, même moi… Et puis départ ce matin, halte à Kampot, et son marché, où j’ai acheté une tenue de moine magnifique. David, notre tuk-tuk, est d’abord venu avec nous au marché, et les prix s’envolaient. Puis on lui a demandé de s’en aller, parce qu’avoir un boy, ça ne nous plaît pas trop. Du coup, j’ai pu obtenir un prix plus décent pour ma tenue de bonze, d’un orange brûlant. Les Khmers prennent les touristes pour un ensemble de gens identiques, il me semble. Ca me fait penser aux Chams, ce qui n’a rien à voir d’ailleurs. Dans le coin, il y a une importante communauté cambodgienne musulmane, avec femmes voilées et hommes enturbannées. Quelques écoles avec panneaux en arabe. C’est assez étrange à voir. Puis enfin le mini van arrive pour nous emmener à Sihanoukville. Le David guitariste, croisé à Thakek, est là, dans ce petit camion climatisé. Il a presque le même carnet que moi. Nous nous sommes raconté nos parcours depuis le Laos. Le matin où on lui avait dit au-revoir, il apprenait à monter sur une moto. Non, je ne tenterai pas d’interpréter cette nouvelle coïncidence, mais plutôt d’avouer qu’hier était notre nouvelle plus belle journée.

Même jour, Angouréa Beach quelque chose, Sihanoukville, vers 19h30.


Cité balnéaire. A priori à mille lieux de celles de la Thaïlande, selon le Lonely Planet. Nous avons trouvé une guesthouse agréable. Nous sommes en ce moment sur la plage la plus en vogue. Une plage immense, de sable fin. Il fait nuit, je suis en T-shirt, si je veux, je peux me baigner dans une mer toujours tiède. Combien de gens envieraient ma place, dans cet énorme fauteuil d’osier, face à la mer, en buvant une bière ? Pourtant, je me sens mal à l’aise. Tout le long de la plage, des bungalows côte à côte proposent la même chose, délicieuse, faite d’ « endless summer » à profusion, et « cheap » en plus, pour un occidental. BBQ de fruits de mer à 3$ et bière à moins d’1$, entres autres. Musique sympa. Le bonheur. Non. Tout a l’air faux, construit pour nous, touristes en mal d’été. Ca ressemble à rien, à tout. Les mendiants défilent. Les touristes à moitié nus croisent les Khmers se baignant habillés. Ca m’énerve de voir tout ça comme ça, de ne pas penser comme la plupart des gens ici. Je ne peux pas m’empêcher de sentir la misère à quelques pas d’ici, de penser à cette fracture qui nous sépare du monde tel qu’il est. L’odeur des gambas grillés me tapisse les narines, l’anglais recouvre les paillotes argentées, je me sens à mi-chemin entre un rêve éveillé et une série TV. Nous nous doutions de trouver ça, mais c’est toujours la même musique, il faut voir pour savoir. Demain nous irons probablement sur une île du coin, et y dormir. Le bonheur est partout, nulle part, surtout à l’intérieur, comme je le matraque dans ce carnet, mais aussi en accord avec le monde où l’on vit. Même si tous les ingrédients sont là, je trouve que la recette ne prend pas. J’avais mal au cœur, en me baignant tout à l’heure, de sentir tout ça. Et doublement, de ressentir ça dans un tel endroit. Same same ? Not at all.

Ile bambou, autre côté, vers 19h, au large de Sihanoukville.


Ce matin, départ pour l’île bambou, armé d’une nouvelle fausse paire de Ray-Ban. Yeah. On recroise un petit groupe de français, qui a fait la route avec nous dans le mini van, et qui a eu la même idée. On savait vaguement qu’il devait y avoir plusieurs types de bungalows. Arrivés sur l’île, deux lots de bungalows arment l’embarcadère, agglutinés encore une fois. Je demande si il y a des bungalows de l’autre côté de l’île, et je n’ai que des réponses flottantes. Après une inspection de la côte, on voit un chemin qui s’enterre dans la forêt. Alice me suit sans trop de convictions, mais c’est notre dernière destination, et j’ai envie d’aller de l’autre côté, du côté de la mer et non du continent, aller jusqu’au bout. Le chemin dure. J’apprécie ce moment, cette dernière destination incertaine, cette idée de chercher dans le présent, de sentir, d’être le chemin. Accrochés à cette piste, au milieu de la forêt dense. Nous marchons. Et puis les arbres se font plus rares. Et là, une maison, avec un écriteau « No entry ». Je sens Alice derrière moi. Nous ne sommes pas encore à la plage, allons jusqu’à la mer. Jusqu’au bout du chemin. Et là, un petit écriteau fléchant des bungalows. C’est là. Une grande plage, en forme de croissant de lune déploie l’horizon et sa ligne pure et tenue. « Destination paradis », le titre d’un morceau de Nikel Gorr, me vient en tête. Le sable crisse sous nos pieds, la mer est chaude et transparente, dévoilant des teintes turquoise, des coquillages tropicaux et des morceaux de corail. Je n’avais jamais vu de corail. Il y a en fait une petite barrière de corail. Je n’avais jamais vu non plus, du coup, une barrière de corail. C’est beau. Dix bungalows sommaires, et un grand circulaire, ouvert, éparpillant tables basses, tapis et coussins. Musique lounge, pas beaucoup de monde. On ne se sent pas au Cambodge, mais dans l’endroit qu’on imagine. Barboté des heures. Des années. Comme des mômes. Et brusquement, une pluie tropicale, dense, faisant abattre une nuée d’énormes gouttes. Il fait meilleur à l’intérieur de l’eau. Magique. Salade, baignade, sieste en hamac. Nous avons atteint le bout de notre destination, l’arbre de vie est aussi ici. Le paradis que l’on trouve, sans adresse, juste là, tout au bout du chemin. Forcément, c’est la plus belle journée de notre voyage.