Mardi 4 novembre 2008, same same, 15h45.


Je vais essayer de combler mon retard sur ce carnet…Le pick-up, donc, pour le Mondulkiri. De superbes paysages, quelques maisons, et beaucoup de secousses. J’arrive à faire quelques photos. Après environ 1h30 à se tenir par des cordages, on mange dans une gargote…très gargote. Des plats étranges, mais bons ! On doit repartir, mais la pluie commence à tomber. Le pick-up étant vide à l’intérieur (on paye pour « inside » ou « outside »…On nous avait que « outside », c’est moins cher et mieux pour voir le paysage, on ne nous avait pas menti), le chauffeur nous laisse nous tasser, et la pluie continue de tomber. Et la route est de pire en pire. Digne des plus beaux passages du Camel Trophy…Et forcément, au bout d’un moment, on s’enlise, un autre pickup devant force le passage, il semble se renverser…Non. Enlisé. Ils sortent les chaînes, c’est boueux au possible. On finit la côte à pieds, mettant tous nos espoirs sur notre pilote pour remonter. Notre pickup semble aussi se renverser plusieurs fois, mais il ne finit qu’enlisé. Un autre double, en faisant hurler son moteur, il monte la côte, s’arrête à côté de nous, sort. Un militaire, aux chaussures noires vernies. La classe ultime sur cette piste improbable, surtout comparé à nous, les pieds dans la boue, manquant de se casser la gueule à chaque pas. Il redescend, à pied, remonte un autre 4x4 en deux-deux, en poussant le moteur à l’agonie, ressort à côté de nous, les chaussures à peine plus sale. The Expert. Tout le monde continue sa route, et notre pilote n’est toujours pas arrivé en haut. Il lutte beaucoup, y arrive enfin. On remonte, et on reprend la route. La jungle dense et humide reste notre seule paysage pendant une bonne demi-heure, et, d’un coup, des plaines, des vallées, des collines, clairsemées de frêles arbres jeunes. Une suissesse nous accompagnant, lisant son guide, nous a raconté que la région a été presque totalement déboisée, en raison de ses bois tropicaux précieux, depuis une bonne vingtaine d’années, malgré une sorte de programme officiel de protection. Le paysage est pourtant magnifique, mais prend un sens étrange. Très loin de la jungle, il s’apparente aux plaines du nord du midi, très dégagées. Et des petits arbres de quelques années. Comme un jeune jardin de banlieue à perte de vue. Je ne sais plus quoi penser devant ces paysages, qui nous entourent toujours. Ils sont beaux dans leurs puretés, soulignant leurs volumes. Et pourtant ils ont été défigurés, vidés. Je croyais arriver dans le calme, j’arrive dans le vide. La nature sait donner des visages gracieux aux horizons mutilés. C’est un sentiment particulier. Ce coin du Cambodge reste pour le moins basique et sauvage, la plus grande ville étant notre destination, Sen Monorom. Un petit village agréable. C’est un de ces coins de bout du monde, que l’on trouve pur, nous qui vivons à l’opposé. Mais quand on ne le connaît pas plus que ça, comment se rendre compte qu’il est encorné ? Un ciel gorgé d’épais nuages, profonds et lourds, crevés par un soleil brûlant, couvre les formes souples et douces des imberbes collines. C’est beau. Pourtant. Arrivés à destination, on trouve cette guesthouse en retrait. Et toujours du monde pour nous proposer de dépenser de l’argent d’une manière ou d’une autre. La distance qui nous sépare du bout du monde est beaucoup plus courte quand on compte en dollars…Négociations, on s’installe. Le lendemain, hier donc, on essaye de louer une moto pour faire un petit tour d’horizon. Pas donné, pour une moto pourrie. On se débrouille, on trouve quelque chose de correct, on part dans les montagnes…Ce n’était pas la bonne direction ! On retourne, et la pluie. La pluie. On mange dans un resto local, très bon. On rencontre Orm, qui nous propose un tour d’éléphant, moins cher que notre guesthouse. En plus il vient du village situé au point du départ de la balade…Raison de plus ! On essaye d’aller sur Internet, mais la pluie stoppe le courant. Bon, je vais me faire raser, tiens...Toujours un peu tendu pour aller chez le barbier, on se dit que tout peut arriver, avec ces grands lames à l’ancienne…Il m’a très bien rasé. J’étais soulagé quand ça s’est terminé. On attend encore, encore, la pluie n’en finissait pas. On a mangé dans un bon resto du coin, qui s’est avéré chinois, comme la plupart des choses ici. Les routes sont par exemple tracées dans le Mondulkiri par des entreprises chinoises, faisant travailler des chinois, qui s’installent d’ailleurs de plus en plus. Très curieux, cette emprise chinoise sur le Cambodge. Il y a aussi la même chose au Laos. La Chine a un rayonnement très fort par ici. Bref, c’était bon, mais pas Khmer. Rentré, la pluie, la nuit, la pluie, nous avions presque fait une croix sur notre balade en éléphant dans la jungle. Mais ce matin, grand soleil, ça commençait même à être sec. Orm est arrivé à la fin du petit déj, visiblement il connait ceux qui tiennent la guesthouse, qui semblaient moyennement apprécier…Nous voilà partis à trois sur la moto, sans casque et sans rétro sur les pistes, ici c’est normal. Des idées sur la sécurité qui sont bien différentes. On arrive dans son village, on croise notre éléphant sur la route. On l’attend dans la maison de son frère, qui semble son jumeau. On monte dessus, sans grande confiance, et nous voilà partis, Orm nous laissant avec le proprio-guide de l’éléphant. Deux bonnes heures à se faire balancer, pour arriver à côté de waterfalls (ha ça y est je commence à avoir des symptômes américains), plutôt de petites rapides, d’ailleurs, en pleine jungle. La classe. Depuis Putang, le village de départ, dont les alentours sont des reliefs dénudés, nous avons pris un chemin s’enfonçant au fur et à mesure dans la jungle épaisse, variée, étouffante, grouillante. La jungle. Sur son rythme chaloupé, l’éléphant, c’est l’extrême mesure de la force tranquille, et le meilleur compagnon pour découvrir la jungle sans sueurs. Je n’imaginais pas à quel point un éléphant peut passer partout. Côtes ou pentes raides, défoncées, boueuses, barrés de troncs ou d’arbres, rien ne l’arrête, il passe partout, à la vitesse d’un marcheur rapide…mais qui n’est jamais ralenti par les obstacles ! Et puis du haut de trois mètres, on voit bien mieux ! Et qu’est-ce que ça bouffe, ça arrache avec sa trompe toutes les cinq minutes des touffes énormes, ça mâche, ça barrit, ça fait sur le chemin, ça a une peau épaisse et poilue. C’est marrant, et sacrément pratique. Et ça obéit plutôt bien ! Une fois arrivés, un bon bain (pour l’éléphant), et nous revoilà repartis pour l’autre partie de la boucle. Je comprends mieux pourquoi Ganesh est un éléphant. C’est presque imperturbable, et ça ne vacille jamais. C’est lourd, c’est dense, c’est calme, c’est lent, mais ça va partout. On pourrait croire que c’est en perpétuelle méditation. C’est peut-être pour cela qu’il m’ait venu un moment l’idée de voir mes films comme des méditations. Voir des films, c’est fixer un cadre et s’y projeter, comme finalement peuvent le faire les Soufis, ou ceux qui pratiquent le Zazen dans une autre mesure. C’est alors un espace de médiation accessible, dans une direction, un développement, une vision des choses. Et ça me paraît assez proche de certains réalisateurs asiatiques, et leurs longs plans-séquences. La contemplation n’est qu’une étape vers la méditation, et peut-être qu’au lieu de parler de cinéma contemplatif, il vaudrait mieux évoquer l’idée d’un cinéma méditatif…A méditer. En tous cas, sur la route du retour, nous n’étions pas en méditation quand s’est abattue la pluie diluvienne…Merci k-way ! Une très longue côte raide, ruisselante, boueuse, et notre monture n’a pas faibli, trouvant toujours le temps de grignoter sur le passage…avec son déhanché inimitable. Et la balade s’est terminée sous la pluie, tout comme notre retour. Nous sommes retournés avec Orm au resto où nous nous étions rencontrés, déguster une soupe de poisson épicée à l’ananas et aux tomates vertes…Un régal. Et puis enfin nous avons réservé notre départ demain pour Kompong Cham, une petite étape sur le chemin de Siam Reap et les temps d’Angkor, où la magnificence des temples semble devoir se mesurer avec leur impressionnante fréquentation touristique…Dernière soirée dans le Mondulkiri, j’espère que demain il ne pleuvra pas !