Mercredi 29 octobre, dans le VIP bus pour les 4000 îles, 8h59.


Donc. La nuit fut trop courte, comme trop souvent…Nous avons donc pris la route n°13 pour aller voir les chutes de Tan Fan, sur notre belle Honda. Etrange, au début, je n’étais déjà plus dans le sentiment de découverte. La route n’était pas là même non plus, mais elle n’en était pas moins magnifique. Vroum ! Notre couple de Bézier, accompagné de leur sympathique italien, est parti pour faire la boucle complète, soit 200 km dans la journée. Nous ne faisons qu’une petite boucle de 100 km, bien suffisante pour mon deuxième jour de moto…Les premières cascades sur ce chemin sont très impressionnantes, malgré la situation éloignée du point de vue. Ces cascades siègent dans une sorte de gouffre gigantesque, et le point de vue est de l’autre côté. Immense. 200 mètres de hauteur. Un peu comme dans les films. On a essayé de descendre, mais la mousse rendait la descente impraticable, et nous a fait rebrousser chemin. Nous avions recroisés nos quinquas vitaminés, mais on a préféré les laisser tracer leur route. On a bu un café Lao pur jus, puisque nous somme sur le réputé plateau des Bolovens (tiens…), mais bon, ça n’étais pas l’extase non plus, contrairement au cadre. Ces chutes, c’est énorme, c’est même difficile à se représenter. C’est beau. C’est grand, c’est petit, on dirait presque un matte painting, un fond dessiné, comme dans les films. Et l’eau tombe. Indéfiniment, par millions de litres. Un peu de ventre rond, enfin de profonde respiration, et puis quand même, c’est de réputation mondiale, on a acheté du café et du thé (pour l’ilot-thé, bien sûr !), et nous voilà repartis pour les secondes cascades. J’ai mis mon casque (mp3) sur la moto, c’était bien. Quelle classe. Ces secondes cascades, bien que moins hautes, se sont révélés plus déconcertantes, puisqu’on a pu descendre jusqu’en bas. Dans le nuage d’embruns. Un arc-en-ciel éternel aux pieds de la cascade. Tous seuls. Une idée qu’on se fait du paradis. Je suis allé tout en bas. Et j’ai remercié le tout pour en être une partie consciente. L’Eveil est une permanence dans le présent impermanent, renouvelé à chaque instant. Comme aux portes du paradis, je contemplais, torse nu, les yeux ouverts, dans ce nuage d’eau, l’intensité de moment présent, sans honte, sans remords, dans toute la lumière que je pouvais voir. Dans toute la splendeur de sa perfection. Alors, toujours à chercher son frère à l’autre bout de la Terre pour trouver son miroir, à chercher le paradis perdu, l’arbre de vie, et le signe de ses portes. La multiplicité, et non l’unité, l’infini le contient, tous les arbres le sont, et je sais, si je l’ai vu, que c’était les portes, les grandes portes que je voulais voir, celles qui nous amènent là-bas, après, après l’arc-en-ciel. « Over the rainbow », c’était là, maintenant je sais. Le chiffre 13, bien loin du malheur ou du bonheur, porte la profondeur qu’on veut bien lui accorder. Nous sommes retournés plus haut pour manger, puis nous sommes allés derrière la cascade, où s’étendait, naturellement, un jardin d’une sérénité absolue. Une petite sieste sur une terrasse, seuls, nous étions là, présents, ensommeillés. Parfois la vérité nous effleure comme la caresse du vent qui vient nous réveiller, nous rappeler nos directions par nos sens. Nous avons alors errés dans ce jardin, dans cet Eden, dont on ne cernait pas les limites. Aparté. On vient de doubler un Jumbo rempli de Lao, dans notre minibus remplis d’Occidentaux. J’aurais toujours la fracture dans le cœur d’être différent, et pourtant « same same ». D’ailleurs, un Jumbo, c’est une sorte de camion pickup avec des petits bancs derrière pour caser un max de gens. Fin de l’aparté. En tous cas, nous avons contemplé une dernière fois ce jardin avant de partir. On a repris la moto, pour se diriger vers Paksong. Rien à voir, une ville-route, demi-tour, vroum ! Et là, la pluie. Pour une fois qu’on avait pas pris nos k-ways…Ah ah. Ca commença à tomber vraiment, on a donc fait une pause dans une petite gargote. Un nescafé, on regarde la pluie tomber et les autres passer. C’est beau. L’esprit de l’Eau. Avec force. Une gargote, à peine une gargote. Si vide. Si pleine. Des sourires. Du temps. Du temps infini, s’étirant comme un syndrome. Et puis on regarde la montre, on revient dans le temps qui défile, il va bientôt faire nuit, on reprend la route, grâce à nos magnifiques sacs-impers. C’est une spécialité vietnamienne très courue au Laos, vendue dans toutes les gargotes, même celles qui n’ont pas grand-chose à vendre. Quel beau couple dans cette gargote, d’ailleurs je les ais pris en photo, avec leur accord. On a repris la moto, c’était beau cette pluie, cette nuit qui tombait en accord comme un seul grand silence. J’entendais des voix dans les froissements de ma capuche, indistinctes, confuses. J’avais envie de les entendre. Je n’étais pas tout à fait sûr de la route, un « 13 » allumé nous l’a montré. J’avais envie de le voir. On a retrouvé nos français et notre italien, qui sont arrivés avant nous, en ayant fait toute la boucle…mais détrempés ! Une bonne fondue coréenne, et au lit. Voici ma boucle. Nous approchons des 4000 îles, et moi d’une certaine lecture de ce monde. C’est drôle quand même, cette vision du paradis, je l’ai vraiment précisé en l’écrivant, en faisant prendre mon esprit dans la réalité. Et maintenant ça existe en dehors de moi.