Dimanche 9 novembre 2008, dans le bus vers Phnom Penh, 14h30.


Je commence à courir après ce carnet…Hier, donc, comme d’habitude, seconde journée à Angkor. On est partis à 5h du matin pour voir le lever du soleil sur Angkor Vat. Evidemment, on n’était pas les seuls, loin de là, mais le spectacle était de taille. Assez magique. Un peu de méditation pendant qu’Alice dessinait toutes ces couleurs changeantes. Encore un moment suspendu. Et puis nous avons parcouru la grande boucle dans la matinée. La grande boucle est le second parcours touristique traversant les sites principaux d’Angkor. Encore des temples, toujours des temples, ils sont magnifiques, mais se ressemblent, et deux jours pour des néophytes comme nous, c’est largement suffisant pour en voir beaucoup sans être vraiment gavé, ce qui est important…Un petit tour vers le Bayon après manger, on est rentrés, on a glandé, et il a plu, encore, on est donc restés dans la guesthouse. Télé allumée, happy chicken soup, et la journée s’est achevée. Ca y est. On a vu ces temples, les plus grands du monde. Encore une fois, j’ai vu qu’aucun dieu n’y était caché, que les endroits les plus sacrés ne cachent que la vacuité, dans tous les sens du terme. Et surtout dans le bon. Il est difficile de s’imaginer comment étaient ces grandes cités, malgré leurs beaux restes. Ce genre de lieu m’évoque un sentiment étrange, entre l’émerveillement et l’indifférence. La portée, l’ambition des hommes ainsi que leur désuète condition. Aussi haut, nous n’en serons toujours qu’en bas. Sans rien avoir à chercher d’autre que ce que l’on a déjà. Ces grands édifices, sacralisant un homme simple, cherchant le vide, et le trouvant. Toujours le même refrain, finalement, cet écart entre ces poignées d’hommes ayant su tendre vers quelque chose de plus grand qu’eux, et ce que d’autres hommes en ont fait. Et après, ce que d’autres en on dit. Ou comment passer d’un pôle à l’autre. Sur le bord de la route, les rizières se font scalper par des chapeaux de bambous, bordé par des arbres exotiques. Je voudrais parfois avoir la force immuable et pure de ces grands arbres qui grandissent sans bouger, sans espérer. Ca me rappelle la vague dont m’avait parlé David, à Luang Prabang. Nous sommes une vague. J’ai beaucoup aimé cette image. Le tout, c’est la mer. Et la conscience qu’on en a, est une sorte d’émergence, sorti du tout, mouvante, glissante, comme une grande vague prenant vie dans la mer. Mais cette vague, sans l’eau qui la supporte, et qui la constitue, n’est rien. Elle a un lien permanent avec le tout. Elle n’est qu’une force, finalement, une énergie, une vie émergeante. Notre problème, selon lui, est de croire que nous ne sommes que des vagues sans eau, sans mer. Indépendantes. Ce matin, avant de partir, le patron de la guesthouse nous a montré un détail très spécial, son élevage de crocodiles : Les petits, et puis les adultes. On a assisté au repas, deux sacs de serpents, c’est quelque chose. Une bonne douzaine (treize nous a-t-il dit) dans un petit bassin, ça fait du monde…Il y a des choses comme ça, il vaut mieux les savoir le dernier jour…D’ailleurs, nous avons élucidé, grâce à Chan, un mec très sympa vivant dans la guesthouse, une grande énigme. Déjà entendu vers Coroico en Bolivie - ce qui n’est pas vraiment dans le coin - une sorte de cri d’oiseau particulier s’est manifesté dans le Mondulkiri. Très beau. J’ai essayé plusieurs fois de l’enregistrer, sans succès. Il fait un cri particulier, très précis, une fois toutes les vingt minutes environ. On imaginait avec Alice une sorte de toucan en plus petit. Et dans cette chambre à Siam Reap, l’oiseau est venu, tout près. Il chantait très fort. Il semblait derrière notre fenêtre. Magnifique, sublime. Mon ami l’oiseau. Mais malin, l’animal. Pourtant si près, impossible de le voir. J’ai enfin réussi à enregistrer un bout de son chant, sans connaître la couleur de l’oiseau. Un soir, j’ai demandé à Chan s’il connaissait son nom. Il m’a dit « Tohké », « Kéko ». Il m’a montré du doigt un lézard, il m’a dit « Le même en plus gros ». C’est un énorme lézard vert, tacheté d’orange. Inimaginable. Ca m’a fait penser à l’homme mystère d’Amélie Poulain. Ce matin, Alice l’a aperçu derrière le volet, ceci expliquant cela (le kéko, évidemment). Une petite photo, et il est parti. Il faisait bien trente centimètres de long. Il a chanté pendant les trois nuits. Ca nous a beaucoup plu. Des fois, il y a des choses qui se passent devant nous, on peut y croire solidement, sans rien connaître, se tromper totalement, et pourtant être heureux quelque soit l’étape. La vérité, le réel, sont si mouvants que parfois, je me dis que sans l’imagination, ils ne pourraient pas exister. Je me dis aussi que parfois, j’évoque des choses trop grandes, que certains pourraient s’y perdre, puisque je m’y perds souvent. Comme on peut se perdre sur la Terre. Et puis je me dis que c’est comme une île. On n’est jamais vraiment perdu sur une île. Finalement, c’est une question d’échelle. Je me rappelle, hier ou avant-hier, avoir pensé au voyage comme à mon sentiment, petit, lorsqu’à la piscine, je suis allé nager dans le grand bassin avec des lunettes. Immense. Un vide immense sous l’eau. Gigantesque. Comme un autre monde. Alors que ce sont les limites de ce bassin qui m’ont donné l’échelle de cette grandeur. Ce qui peut sembler sans fond n’est souvent qu’une impression. Le voyage comme un grand bassin, celui de la vie, dans les limites rondes et bleues de notre petite île flottant dans l’immensité, de notre grande mère à tous, c’est une idée qui me plaît assez…